Ca fait douze ans maintenant que l’on n’avait plus eu de nouvelles de Jerry Schatzberg, réalisateur américain qui avait démarré en trombe sa carrière au début des années 70 avec Portrait d’une femme déchue, Panique à Needle Park et L’Epouvantail (Palme d’or à Cannes en 1973, quand même !). Douze ans occupés on ne sait trop comment par le cinéaste, peut-être à mûrir cet étrange film, à l’imaginer, le penser, le dessiner. Douze ans qui impriment considérablement leur marque sur ce The Day the ponies come back. Car ce qui frappe d’emblée dans ce douzième long métrage, c’est son caractère quelque peu désuet, vieillot même, tant il est à des années-lumière de ce que le cinéma américain nous montre d’habitude, à partir du même postulat (et surtout dans le même espace). Ce sentiment bizarre, s’il n’est pas sans créer quelques difficultés, fait tout le charme et tout le prix de ce film.
A la base donc, une histoire de quête. Quête du père d’abord, que Daniel, jeune Français réparateur de cors, essaie de retrouver aux Etats-Unis. Quête de soi ensuite, car en se confrontant à un autre milieu, à un autre pays, à ses habitudes et à sa violence, Daniel va petit à petit se trouver lui-même. Cette lente métamorphose, Jerry Schatzberg a d’ailleurs choisi de l’incarner cinématographiquement en utilisant au début de façon très répétitive des plans subjectifs filmés en DV, matérialisant de ce fait l’extrême distance qui sépare le jeune homme du monde, en l’occurrence le quartier du Bronx à New York. Et puis, au fur et à mesure que Daniel prend conscience de cette distance, et s’ouvre à ce monde inconnu, ces plans tournés en numérique se font plus discrets, avant de disparaître totalement. Daniel finit par avoir le même point de vue que ses nouveaux amis américains. Il s’habitue aux fusillades quotidiennes et comprend finalement que, outre-Atlantique, l’Etat a depuis longtemps abandonné ses ouailles les plus défavorisées.
Ces ravages de l’ultralibéralisme sauvage, le cinéaste les filme avec beaucoup de recul, non pas pour les édulcorer mais pour, au contraire, les rendre davantage crédibles, donc réels : c’est un hôpital débordé par ses malades n’ayant pas les moyens de fréquenter de cossues cliniques privées, c’est un rat dans le placard de sa cuisine, et la peur de se plaindre à son propriétaire, etc. La même logique de cinéma prévaut pour la représentation du Bronx : on sent Schatzberg désireux de rompre avec l’imagerie cinématographique de ce quartier, souhaitant montrer la violence, certes, mais également la solidarité, l’idée de communauté, de vie de quartier… Et de façon assez inattendue, le film fait ainsi parfois penser au cinéma de Guédiguian (en particulier à ses contes, L’Argent fait le bonheur en tête), dans ce refus à la fois de la concession politique et sociale, et du misérabilisme contemplatif. Comment, dès lors, ne pas être séduit par ce film qui réussit à créer un pont entre le Bronx et l’Estaque.