« The Crazies, c’est La Nuit des fous-vivants avec du fric ». Voilà, en gros, comment la production définit officiellement le remake du film-culte de Romero. Ça peut paraître réducteur, mais en fait non, c’est tout à fait ça, la formule est même d’une pertinence chirurgicale. S’il paraît naturellement vain de les opposer qualitativement, une petite comparaison ne fait pas de mal quand même, justement parce que le remake rutilant de Breck Eisner (« révélé » par un honnête film d’aventure, Sahara, avec Matthew McConaughey), montre tout ce que Romero ne pouvait que suggérer par le dialogue et le montage. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il le dépasse, mais qu’il le complète, comme une sorte de gigantesque hors champ dévoilé trente-cinq ans après. C’est clair, par-delà les costumes Kiabi et les effets numériques, les deux films contrastent sur à peu près tout : film de guerre et de stratégie au suspense quasi-radiophonique, l’original est aussi poisseux et précis que le second est élégant et vitaminé malgré son écriture brouillonne (des trous de scénario vraiment dommageables). Outre que la charge antimilitariste d’hier se trouve aujourd’hui réduite à un postulat de jeu vidéo, les personnages flottent un peu dans leur costume.
Le fond de sauce reste pourtant le même : un avion militaire se crashe dans la rivière qui alimente une petite ville américaine en eau potable, charriant un virus bactériologique qui infecte la population. Laquelle est prise en étau par l’armée (qui lui impose une quarantaine musclée) et par le virus, qui fait muter les citoyens en dangereux mabouls. Quand Romero constellait l’intrigue de mille points de vue (la collectivité des oppresseurs et des opprimés), Eisner n’en garde qu’un seul, un couple de civils (lui shérif, elle médecin) capable d’endosser tout le récit sur ses épaules. Du coup, l’originelle guerre de positions devient une fuite tortueuse et haletante, un vrai film d’action. La grande réussite d’Eisner consiste justement à changer d’échelle et de braquet avec une admirable fluidité, le cinéaste trouvant un équilibre idéal entre progression à la Sherlock Holmes (plaisir du quadrillage géographique, de la révélation et de la découverte) et immersion totale (en solo ou groupé), une course effrénée dans la pure tradition du survival.
Le mérite en revient surtout à la mise en scène, très efficace notamment dans l’installation du suspense. Une vertu d’autant plus salutaire qu’à la différence du Romero, l’angoisse passe essentiellement par l’impact visuel des plans. L’ensemble pourrait quasiment se chapitrer en scènes-choc : un « crazy » débarquant fusil au poing en plein match de baseball, une moissonneuse batteuse qui démarre dans la nuit et terrifie une maisonnée. Sans oublier le meilleur, un traquenard effroyable dans une laverie de voitures, où les armes ennemies cisaillent les héros à travers la mousse et les brosses. Certes, tout n’est pas parfait, mais il est acquis dès le premier plan que The Crazies est pris en charge par un petit maître à l’insolente vigueur, et qui a le bon goût d’éviter la frime (ce qui n’empêche nullement le film de toucher visuellement au sublime) ou la crétinerie de fan. On le voit notamment à son traitement de la folie des infectés (absences, regard éteint, allure déprimée), pour le coup bien plus fin que les scènes de délire un peu caricaturales du film de tonton George.