Routard des mondes virtuels (les deux ont déjà réalisé un film sur Les Sims), le duo Della Negra / Kinoshita récidive avec un documentaire sur Second life. Premier soulagement : The Cat, the reverend and the slave n’a rien d’un tour operator wikipédago-démago du fameux site de vie virtuelle. L’exercice se veut moins dissertation que pure observation. Il s’agit surtout de questionner, via les utilisateurs du logiciel, une symbiose possible au quotidien entre réel et virtuel. Du soft ne filtrent finalement que des bribes d’images, dispersées et sans liens explicites avec la narration. Il faudra pardonner à l’image ses relents baveux et son teint numérique livide. Etonnement apathique, le rythme du film s’adapte souvent à la réalité des joueurs (on est loin du hardcore gamer hyperactif) pour se greffer à une routine réglée. À la fois frontière et cocon pour ses sujets, la mise en scène respecte la distance et fait de cette autarcie ouatée (le son l’emporte définitivement sur l’image) son matériau premier de fascination.
Comme le titre le suggère, le film est partitionné : chaque chapitre s’intéresse à un « personnage », trié sur le volet des multiples rencontres des réalisateurs avec la communauté de joueurs. La démarche n’est heureusement pas de délimiter l’univers Second life à un quota de représentations exhaustif. Mais la caractérisation entraîne souvent un traitement inégal, ce qui est le cas ici. Ainsi du segment consacré à une communauté Furry, et son émissaire homme-chat (oreille en plastique et queue en fourrure), drôle et décevant à la fois, qui se contente d’une excentricité bon marché et manque de faire basculer le film dans la stéréotypie facile. Le reste est heureusement plus subtil. Qu’il s’agisse d’un couple de révérends prêchant l’Evangile sur leur île virtuelle, ou un pompiste de jour / maître BDSM Goréen la nuit, le ton cherche moins à révéler l’exubérance des protagonistes que leur ambition de vivre dans une norme personnelle. On taira bien sûr la fin, assez bluffante, qui offre paradoxalement les images les plus ésotériques dans un décor pourtant bien réel.
Mais le plus beau passage concerne l’absent du titre. D’apparence plus que banale, le chapitre filme le quotidien d’un couple lambda, qui vit d’amours alternatifs sur Second life. Les crises de jalousie entre les deux, une fois chacun revenu à la réalité, soulèvent une schizophrénie fascinante. L’exercice est d’autant plus réussi qu’il lorgne forcément vers le voyeurisme sur la pathologie conjugale, sans jamais y succomber. Un tel sujet aurait alimenté un film entier. Il n’est ici qu’un pan discret, et c’est déjà pas mal.