» Après Facebook, qu’est-ce qu’il te reste à raconter à ton psy ?« , demande à James Deen la plantureuse Lindsay Lohan, ici géniale en poupée envapée au châssis dessiné pour les terrasses de Beverly Hills. Bonne question, qui résume bien l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’imaginaire de Bret Easton Ellis : comment dépasser le sempiternel portrait de la vacuité californienne, et contourner la redite du dispositif Glamorama ? L’idée d’un partenariat avec Paul Schrader avait de quoi rassurer et inquiéter à la fois : quand un dinosaure un peu oublié s’empare d’un sujet à la fois rebattu et estampillé « auteur » (un jeu de dupes entre starlettes et jeunes premiers, tous confits dans un grand dégoût d’eux-mêmes), il y a de quoi redouter la soupe théorique/arty.
Le début de The Canyons n’annonce pas autre chose : lâché dans un décor labellisé BEE, Schrader répand une glaciation un poil forcée, promenant ses pantins glamour – et surtout l’étalon Deen, très nul – dans un L.A. à la fois mortifère et plaisant à l’oeil, à la limite de la parodie de l’écrivain (lascivité porno chic + paysage névrotique = Eros et Thanatos). Mais cette joliesse finit bel et bien par devenir asphyxiante : tandis que le film évolue dans les vapeurs de sexe, et que Lindsay Lohan est effectivement d’une folle suavité, le Los Angeles de Schrader reste étrangement peine-à-jouir. Et c’est bien ce qui finit par devenir vertigineux. Là où les adaptations d’Ellis au cinéma peinait à dépasser le cachet fun et cliquant, l’auteur de Taxi Driver s’approprie la balade jusqu’à trouver un vrai point d’équilibre entre une vraie sensualité (très belles prémisses de partouzes dorées) et un terrifiant réel asséché.
Si Schrader met une telle ardeur à dévitaliser son décor, c’est que ses propres angoisses prennent peu à peu le dessus sur celles de BEE. Ses beaux losers deviennent les cobayes d’une expérience tordue, consistant à réunir dans des villas aux effluves porno un groupe de malades ordinaires (dévorés par l’idéal californien, évidemment) pour les observer comme dans un show de télé-réalité qu’aurait produit Vimeo. Mais le film ne se résume pas pour autant à une installation d’entomologiste : pas revenu des seventies, Schrader ne monte ce théâtre mal fichu que pour finalement shooter dans la boite, et faire s’effondrer l’édifice. Ainsi James Deen, filmé au départ comme un pauvre type égaré, envoyé délibérément au casse-pipe comme acteur désastreux (il aborde chaque pic érotique avec des réflexes de pornstar, aussitôt frustrés) est piloté par l’auteur comme un simple pion. Un pion qui, peu à peu déboussolé par la vacuité de son petit monde, finira en Travis Bickle de la Porn Valley. Que Schrader retrouve ainsi son chemin chez Bret Easton Ellis, et dans un bidule fabriqué à la sauvette et destiné à finir sur iTunes, voilà qui n’offre pas la moindre des surprises.