Nick Taylor est lobbyiste du tabac. Avec sa tchatche, il met le monde dans sa poche, parvenant même à réconcilier un petit cancéreux avec son produit sur un plateau télé. Alors que le big boss l’adoube au sein de sa compagnie et que son fils l’admire enfin, une journaliste sans scrupules brise sa réputation, publiant ses confidences cyniques après une coucherie. Il y avait tout à craindre de cette comédie semi indépendante qui avance sur le fil ténu du politiquement incorrect en dévoilant d’emblé son programme. Soit confier les commandes du film à Nick Taylor, le laisser triompher et s’embourber, manière pour le cinéaste Jason Reitman de filtrer avec une morale bien pensante sans retourner sa veste. Cela dit, Thank you for smoking tient son pari d’équilibre sans fausse note, ce qui en soi mérite le respect. Et détourne l’enjeu réel du film : il ne s’agit plus de dénoncer à tout prix le lobbying, combat gagné d’avance, mais de maintenir une fluidité, préserver l’élégance et le rayonnement du personnage.
Les acteurs y sont bien sûr pour beaucoup, à commencer par Aaron Eckhart, parfait en salaud lumineux. Reitman souligne l’aspect besogneux de son statut d’acteur protéiforme, utilisé à droite et à gauche à Hollywood : l’homme y est moins un artiste qu’un interprète, un instrument qui sert le système sans jamais s’en servir. Ce qui déleste le film de toute tentation de performance et le recentre sur le rapport de l’individu à son travail : comment servir sa boîte et par là même en tirer une fierté, une jouissance, un crédit personnel. L’intérêt du film réside donc dans le fait de saisir les émotions propres à la culture d’entreprise, maelstrom paradoxal où la jouissance est à la fois narcissique et formatée : plaisir de relever un défi quel qu’il soit, de gravir un échelon (la rencontre avec le boss Robert Duvall, séquence émotion pour Nick Taylor) ou d’affiner le portrait sociologique d’un collègue de bureau par désoeuvrement et stimulus intellectuel.
Cette fascination pour l’homme-rouage permet de cerner les intentions de la mise en scène. Jason Reitman ne détourne même pas la grammaire classique hollywoodienne, il surfe dessus à la manière libérale, élégante et carnassière de son héros. Prenez la scène finale, remake cynique de Mr Smith au Sénat, où, bafoué, Nick Taylor met l’opinion dans sa poche par diverses pirouettes ou tirades gaguesques, retournant comme une crêpe la citoyenneté enchantée de Capra. N’empêche, la finalité de la scène reste la même : elle réhabilite un opprimé du système, lui assure une humanité et lui promet sa réinsertion. On peut bien sûr trouver Jason Reitman un peu court, lui reprocher de chercher davantage à se positionner sur l’échiquier d’Hollywood qu’à l’envoyer bouler. Reste que cet opportunisme là assure.