Dans la comédie US, pas de cinéastes aussi singuliers et précieux que les Farrelly aujourd’hui. Question de trajectoire d’abord : contre toute attente, la filmographie est peu à peu retombée de la vague triomphale du trash de masse hollywoodien des années 1990 pour s’amenuiser et s’adoucir en oeuvre d’auteur au sens le plus pur, touchant désormais à une forme d’indicible, sans place déterminée sur le marché -en témoignent la sortie calamiteuse d’Osmosis Jones ou de ce Terrain d’entente. Résultat, un film aussi grêle et fluet que celui-là, passionnant en ce qu’il ne rompt jamais avec la sève acidulée des origines -amour de la monstruosité qui est ici ramenée à une passion dévorante de supporter pour une équipe maudite-, mais pousse un peu plus loin la logique kamikaze des deux cinéastes : comédie romantique sur fond de baseball, absence de stars, film de commande adaptant un roman de Nick Hornby, loose sur toute la ligne. Ne pas s’y tromper cependant, il est désormais acquis que l’assurance de l’échec commercial (le film sort sur un nombre dérisoire de copies) vaut plus comme farouche désir d’humilité et d’autonomie que comme errance forcée dans le purgatoire d’Hollywood.
Paradoxalement, c’est le même principe de radicalité qui présidait au trash des premiers films (en arrière-plan désormais, tel ce petit clip hilarant montrant le héros nettoyer le vomi de la fille dont il s’est épris) qui nourrit désormais l’excès de douceur et d’humanité de l’oeuvre récente des Farrelly pour s’épanouir dans une légèreté enfantine et cotonneuse. Pas un bruit de fond, lors de la scène de rencontre entre Ben et Lindsey : tout semble en revenir à la transparence d’un âge d’or anonyme et désuet. Deux personnages face à face et le silence ouaté qui les entourent : comme toujours chez les deux frères, la mise en scène est d’une simplicité admirable, scènes frontales qui durent un peu trop longtemps, simples champs contrechamps qui font revenir, de l’habituelle chorégraphie de la performance et de la technique (de drague, de burlesque), une forme de gêne et de nudité bouleversantes. Tout le reste est à cette image : un retour constant, dans le genre le plus programmatique qui soit, de cette part de réel qui semble tant abhorrée par le divertissement industriel hollywoodien. C’est ainsi que pouvaient s’intégrer, dans L’Amour extra large, des scènes documentaires d’hôpital d’enfants malades sans équivalent ailleurs. C’est ainsi que le progressif effacement des auteurs, ici, rend magnifiques quelques scènes revenues de nulle part : un enfant qui débite une leçon de vie à Ben avant de repartir, une chanson qui transforme un bref instant une voiture et ses occupants en petit vaisseau burlesque, une parade délirante de Ben pour ne pas entendre, lors d’un dîner avec les parents de sa fiancée, le score d’un match qu’il n’a pas pu voir.
La modestie et l’intimisme des derniers films des Farrelly atteint avec Terrain d’entente un seuil qui menace parfois le film de se dérober à lui-même, du fil ténu de la narration au filmage sans artifices d’un sujet qui n’est lui que suite d’artifices de comédie de seconde zone : bluette à l’eau de rose, thème imbitable du baseball, arrière-fond obsédant de l’Amérique moyenne entre musique FM et enseignes McDo, burlesque réduit à quelques percées alors qu’il tendait les précédents films de bout en bout. Point-limite évident, qu’il s’agit d’apprécier comme tel, c’est-à-dire en n’y voyant plus qu’une forme de minimalisme d’auteur dans lequel geste et réflexe se tiennent la main. Que ceux-ci y soient réduits à leur plus simple expression, fumisme ou liberté, et les séquences s’enchaînent en une prodigieuse musicalité d’écriture. C’est la force de Terrain d’entente : ne jamais se rendre à son destin de film malade, par éclats de grâce ou de génie, mais faire boule et se déployer de tout son long et dans toute sa santé : la mélodie souveraine d’un cinéma flottant bien sûr à des années lumières de son apparente nonchalance.