Un intérieur de monastère, le portrait érotique d’une jeune soeur, un état d’hypnose amoureuse, une mélancolie sourde, des visions de tissus, de peau blanche et de chevelure. Le monastère est féminin, orthodoxe, roumain, et la soeur a 24 ans. On trouve en elle de la grâce, de la beauté, du désir – et puis du noir, beaucoup de noir, de la bure, de la sueur, des inquiétudes à propos de choses comme l’infini ou l’éternité, des coups de ciseaux dans les cheveux, de la pénitence criminelle, un avenir de cachot. Pour le spectateur profane, Téodora c’est quelque chose de sublime qui aurait découvert une couleur, le noir, et qui se serait mis en tête de disparaître dedans.
Le film relate la préparation à la confirmation de ses vœux, au terme de laquelle Téodora sera mariée à Jésus. Pour le moment, son sourire semble transposable dans la vie laïque. Elle a passé son adolescence dans la guimpe, on sent en voyant son teint qu’elle a grandi couverte, enfouie ; mais elle est encore pleine de vie. C’est cette ambivalence qui est très belle dans Téodora pécheresse, ce regard porté sur une jeune femme accrochée au Ciel mais par on ne sait quel bout, tant son corps semble lisse, jeune, vivant. Pendant les prières, la bouche de Téodora est filmée de très près, dans des vues grossies à l’extrême, la psalmodie sort dans une palpitation érotique. La façon qu’elle a de louvoyer vers une obscurité monastique encore plus noire, mais avec la sensualité inquiète d’une amoureuse, est un spectacle très beau, très mystérieux à voir.
Au mysticisme serein et discret de Téodora, totalement intériorisé, répond la mise en scène plus ouvertement passionnelle d’Anca Hirte (lire notre entretien), fascinée par la peau et par la foi, par cette idée folle de l’union amoureuse avec l’immatériel. En débarquant dans cet univers, on cherche d’abord sur l’épiderme de la soeur, filmé avec une réelle audace, les signes d’un ailleurs spirituel, des indices de métamorphose angélique, quelque chose qui permettrait de comprendre le pourquoi de ce gâchis, de cette jeunesse balancée dans un trou. Or très vite, on voit que cette façon de désigner des parties est aussi une manière de renvoyer à l’infilmable tout qui les enserre : Téodora tout entière – c’est-à-dire aussi avec l’âme. Plus on approche la peau, plus le hors-champ devient ineffable. Plus elle est érotique, plus elle est à Dieu. Dans ces moments-là, le film prend un tour mystique vraiment impressionnant.
Cette façon presque fétichiste de ponctionner des détails, d’aborder l’énigme de la foi en creux, par tout ce qui ne la représente qu’indirectement, s’harmonise admirablement avec la virginité démoralisante de la belle et sensuelle Téodora, avec ce sentiment de gâchis qu’il provoque. Déguisée autrement, Téodora pourrait ressembler à n’importe quelle jeune fille de son âge (belle scène de repas de famille en extérieur, où la religieuse se tient à côté d’une jeune lolita, les deux formant un incroyable couple de Vénus diaphane / Vénus anadyomène). Mais son corps à elle est aussi filmé comme un insoluble mélange de peau et de tissu, qui la dévoile pour l’instant d’après la cintrer et l’englober, la dissoudre dans la fantaisie du rite. A mesure que se déroule la cérémonie, vers la fin du film, on sent Téodora à moitié prise dans l’invisible, elle est d’une pâleur totale, au bord du malaise tant elle mange peu, et fond littéralement sous l’épaisseur des étoffes qui la couvrent. A plusieurs reprises, la caméra s’abaisse lentement vers le sol : mouvement de renoncement et d’humilité, comme d’abattement et d’affliction. Téodora pécheresse, c’est tout ça, et c’est vraiment superbe.