Premier long métrage de fiction de Nader T. Homayoun (lire notre entretien), Téhéran est la bonne surprise de ce début de printemps. Le film propose une plongée dans la société iranienne tout en suivant les règles du polar, évoquant parfois Melville, Scorsese ou John Woo. Mais Téhéran reste une oeuvre profondément iranienne par son mélange de violence, de tendresse, d’humour, de mélancolie et de pudeur. On suit ici l’itinéraire de trois hommes : Ibrahim, Fatah et Madjid. Différents par leur physique, leur âge et leur rapport à la vie, ils n’en sont pas moins solidaires au sein de la grande ville. Chacun vivra au cours du film un moment fort : une première rencontre « amoureuse », un mariage, la naissance d’un enfant. Mais ces joies intimes seront de courte durée : la ville reprend ses droits sans tenir compte du bonheur de ses habitants. Téhéran n’hésite pas à aborder des sujets tabous en République islamique comme la prostitution, le commerce d’enfants ou le trafic de drogues. Le cinéaste pose par ailleurs la question de l’impunité des Gardiens de la Révolution en montrant un gang qui agit sous cet uniforme. Comme le montre l’affiche, Téhéran met les points sur les « n » et dresse le bilan d’une révolution dont les idéaux ont été fourvoyés. On peut citer entre autres le système d’aide mis en place par l’ayatollah Khomeyni qui est devenu avec le temps une banque comme une autre, c’est-à-dire qui ne prête qu’aux riches.
Au sein de cette société, le mensonge est permanent : Ibrahim se fait passer pour veuf alors que sa femme attend un enfant ; Madjid est abusé par une fille dont il ne saura pas si elle ne l’a pas aimé un instant ; Zahra accepte de transporter de la drogue alors qu’elle est enceinte. La frontière entre le vrai et le faux est poreuse. C’est pour fuir ce climat qu’Ibrahim décide de quitter Téhéran. Mais la ville retient ses enfants même quand ils viennent de province. « Téhéran est une belle ville mais on s’y perd vite », dit un chef de gang. Tourné en 18 jours, sans autorisation et sous couvert d’un court métrage documentaire, Téhéran comprend de nombreuses scènes en caméra cachée à travers les rues, le métro ou l’aéroport. C’est dans ce lieu qu’est tournée la dernière scène, véritable moment d’anthologie. On regrettera peut-être l’absence d’une grande séquence d’action, mais Nader T. Homayoun prrivilégie de toute évidence l’ellipse à une vision trop frontale. Grâce à la musique, Téhéran n’en garde pas moins un climat de tension propre aux films d’action. Ce long métrage renoue en fait avec une tradition du polar iranien d’avant la révolution mais dans un contexte différent et avec un emploi inédit de la couleur : le vert, le blanc et le rouge du drapeau iranien sont ainsi présents dans de nombreux plans comme pour souligner la différence et l’unité des trois personnages.
Film franco-iranien, Téhéran porte un double titre. Sur l’affiche, on peut lire en persan « Tehroun ». C’est ce titre qui apparaît à la fin. Pour un Iranien, la nuance est claire : les lettres « an » qui terminent un mot peuvent s’écrire « oun » pour donner une couleur plus populaire, tendre ou amère à un nom. C’est le cas de « Tehroun » par rapport à « Téhéran ». En inscrivant ce titre, Nader T. Homayoun prend le pari que cette nuance peut être perceptible pour un spectateur occidental qui aura vu le film et se sera reconnu dans ces personnages afin de mieux comprendre la capitale d’un pays en pleine transformation qui souhaite sortir d’une impasse pour avoir droit à un avenir. Pas si mal que ce soit via le cinéma de genre que cette réalité soit dévoilée.