C’est malheureusement une évidence : depuis quelques années, le cinéma de Carlos Saura est devenu stérile. Tango, primé au dernier Festival de Cannes, ne faillit pas à la règle. Entre deux fictions transparentes, Saura s’est fait le spécialiste des films de danse, sans toutefois apporter un brin d’originalité à ses tentatives. De Carmen à ce Tango, en passant par Sevillanas ou Flamenco, le spectateur assiste aux mêmes spectacles type « son et lumière » standardisés aux normes européennes. Les musiques sont agréables, les lumières travaillées (ici, c’est le grand chef-opérateur Vittorio Storaro qui est aux commandes), mais l’ensemble donne une impression de vacuité assez déconcertante. En effet, Carlos Saura semble avoir oublié que le cœur du tango est la passion, singulièrement absente de son film. En guise de charpente fictionnelle censée soutenir les numéros musicaux et leur donner plus de force, le réalisateur espagnol nous ressert l’histoire usée jusqu’à la corde d’un quinquagénaire sortant d’une rupture et tombant amoureux d’une fille plus jeune que lui. Sauf qu’ici, l’homme en question est un célèbre metteur en scène travaillant sur un spectacle basé sur le tango et que les deux femmes de sa vie sont également ses actrices…
D’où une mise en abîme d’une rare pesanteur qui lui fait confondre fantasmes dansés (d’une sénilité risible : on retiendra notamment une séquence teintée de lesbianisme vraiment inutile) et numéros réels. Une caméra omniprésente apparaît pour « enrichir » encore le dispositif : Saura aurait-il vécu lui-même une aventure similaire ? Il est vrai que les archétypes font partie du tango, mais Saura n’en joue jamais et a visiblement préféré introduire artificiellement ses personnages fades et prévisibles plutôt que d’en faire des sortes de marionnettes au service de la musique, ce qui aurait été un parti-pris plus audacieux. De plus, il semble avoir oublié à quoi correspond une idée de mise en scène, et se contente d’œuvrer dans le consensuel. Pour le tango au cinéma, il est donc préférable de revoir certains films de Fernando Solanas ou une seule scène d’Happy Together de Wong Kar-waï, afin de vérifier que la cinégénie de cet art existe bel et bien.
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