Si on l’attendait, Bryan Mills est de retour. Bryan Mills, souvenez-vous, c’est ce Liam Neeson tape-dur qui cassait du barbichu pour sauver son héritière dans Taken. Pas vraiment le genre d’énervé qu’on s’attend à recroiser, tant la première rencontre avait déjà l’air d’être la cent septième : dans le premier volet, on nous refaisait le coup du respectable family man changé en bulldozer dès qu’on touche au chignon de sa moitié ou de sa fille. Bronson dans les Death wish, Ford dans Frantic, Neeson était un peu de tout ça. Père poule, Père courage et Père fouettard, il composait un drôle de malabar WASP, aussi platounet que son accent irlandais à-demi gommé. Mais soit, il revient et son aventure commence comme le fantasme d’un VRP au fond du gouffre, fauché et plaqué par sa famille : Mills retrouve femme et fille, toutes deux folles de lui ; il serre les dents en apprenant qu’il a pour beau-fils un éphèbe mal rasé ; grand seigneur, il offre tout de même un ravissant séjour-club en Turquie aux deux femmes de sa vie, qui n’ont pas de mots pour louer la mansuétude de cet homme de goût. Elles sourient moins quand de nouveaux mafieux hirsutes viennent gâcher la belle parenthèse all inclusive : Mills avait liquidé l’agresseur du premier volet, mais le père de ce dernier est encore très vert, très fâché et très barbu.
Passe que Taken 2 est un simple décalque du premier, et que le rapt (pas vraiment un argument novateur) serve de gimmick propre à la franchise. Qu’Olivier Megaton soit vu comme l’homme de la situation, c’est plus surprenant. On ne présente plus Megaton, notre Uwe Boll national : comme son cousin teuton (beaucoup plus attachant), le poulain de Luc Besson est spécialisé dans les basses oeuvres des majors et prétend les transformer, avec un peu d’imagination et beaucoup de déni, en machines prétendument sulfureuses (il adapta Dantec). Est-ce bien raisonnable de confier au pape des grosses Bertha franchouillardes la suite de cette histoire, dont la toute petite force repose justement sur la subtilité du jeu de piste, sur la mue du quidam distingué en guerrier rageur ? Au fond, le choix concorde avec l’étrange conception du blockbuster d’Europacorp, mammouth schizophrène qui mise aussi bien sur des projets farfelus de série B à l’ancienne (Ong-bak, Lock out) que sur des machines en toc tournant à vide, à l’image du Transporteur III, un des plus gros faits d’armes de Megaton.
Parce que oui, il y a bien des possibilités dans ce canevas prémâché, tout en fuites molles du genou, en filatures distraites et en traques traîne-savates : quand Neeson comprend qu’on lui en veut à nouveau, et qu’il guide sa fille par téléphone pour l’aider à s’enfuir, on voit quel type d’action aurait pu rayonner. Un montage parallèle peut ravir quand une échappée s’organise à distance, réalisée en pleine bérézina et téléguidée depuis un QG lui-même en branle-bas de combat. Mais, en gosse frénétique, Megaton filme la terreur des proies innocentes par-dessus la jambe, pressé d’arriver à la scène suivante, d’en découdre avec le morceau d’action pure, comme si la technique était la pièce de résistance absolue de l’ensemble. Seulement, rien de plus rance et veule que la technique faite Besson (rappelons-nous Pirès, Krawczyck, Zeitoun) : nomenclaturée, persuadée de n’avoir qu’à « suivre les règles » pour être bonne élève, cette vision-là de la vitesse et de l’urgence n’a aucune conception propre de l’espace-temps. La course-poursuite en voiture du milieu n’exploite jamais ce qui devrait servir à la fois de handicap et de levier épique, à savoir le fait qu’une nouvelle fois, c’est la fille qui est au volant et le père qui télécommande sa conduite ; or cette voiture roule comme n’importe quel bolide en fuite, louvoie entre les mêmes obstacles, heurte les mêmes nids-de-poules. C’est la technique « Hollywood compliant », aucune classe, aucun style, de la rigueur.
Passons sur la vraie-fausse provoc’ de droite éventuellement décelable – on avait déjà reproché au premier volet de monter l’héroïsme anglo-saxon contre les méchants musulmans. Ce serait être peu respectueux envers lesdits musulmans, et envers les croyants en général, que d’identifier le moindre groupe religieux derrière les forbans à moustache gribouillés ici. On réussira à peine à croire qu’ils incarnent une peuplade existante. Plus le méchant est poilu, plus le film s’étouffe, c’est tout ce qu’on retiendra d’eux.
Le plus désolant est là : derrière la limpidité du script et des ambitions de mise en scène (héros identifiable, dramaturgie en trois actes), on sent partout le même argument fallacieux de légitimation. La prétention et l’exigence, valeurs honnies, sont jetées au bûcher, avec le public qui refuse de somnoler. C’est vouloir se ranger du côté de l’entertainment tout en insultant celui-ci : Taken 2 planqué derrière le « divertissement généreux » et contre les amateurs du raffinement technique, c’est Cauet qui se réclame de Louis de Funès face à Eric Naulleau – c’est risible. On ne s’y trompe pas, de toute façon : les plus gros prodiges d’Europacorp en termes d’action ne rivalisent pas réellement avec les blockbusters hollywoodiens, même passables. Ils ne font qu’importer leurs bases, leurs composants élémentaires, qu’imiter leur service minimum. Olivier Megaton s’arrête toujours là où commence Michael Bay, c’est dire.