Une bonne tarte à la crème, tel pourrait se définir Tabous, énième documentaire à sortir cette année, énième charge mi-world mi-mainstream sur les injustices du monde moderne. Après Juste une femme, 26 minutes sur les premiers jours post-opératoire d’une transsexuelle à Téhéran, Mitra Farahani sort le grand jeu. Tabous, c’est une onde de choc à Berlin, trois ans de tournage, des heures et des heures d’interviews d’iraniens divers et variés. Moelle épinière du film : leur vie sexuelle, leur conception de l’érotisme, qu’ils soient fanatiques religieux, prostituées ou mécréants secrets. Vaste sujet donc, type Envoyé spécial ou Dossiers de l’écran, que Mitra Farahani traite finalement tel quel. La cinéaste a beau être iranienne et jouer avec les codes de sa culture, son film n’en respire pas moins l’approche classique du reporter de guerre embarqué.
Tout cela n’est pas sans rappeler les procédés d’un Michael Moore. Pourtant, l’opposition semble couler de source. Quand le débonnaire à casquette dénonce, il part du cliché, voire de l’image pré-existante, pour la commenter façon chroniqueur télé, au point de s’y intégrer physiquement (Moore n’aime rien tant que les faces à faces mythiques). Farahani, elle, tourne tant qu’elle peut, avec ou sans visage. Le robinet d’images, c’est elle qui le fabrique et le fait couler au maximum. Même les témoignages ne suffisent plus, l’argumentation doit aussi passer par la représentation poétique du conte. Alors, en super 8, elle met en scène un poème coquin d’un auteur culte interdit par le pouvoir, comme du Pasolini de poche période Mille et une nuits. L’antagonisme semble se confirmer au montage : Fahrenheit 9/11 raconte des histoires, qui partent des grands (Bush) pour se pencher au final sur les petits. Tabous part du peuple et n’en garde que les phrases chocs, les images-clés du ravage causé par le régime fanatique : le sourire d’un gynéco pas dupe de ses patientes lorsqu’il reconstruit leur virginité tous les six mois, la mélancolie d’un religieux pour les premières heures terrorisantes de la révolution, le sarcasme serein d’une prostituée.
Certes, l’un est un gros ricain démocrate qui tient des discours hauts en couleurs de choses vues à la télé alors que l’autre, iranienne raffinée, s’exprime par métaphores, zigzague avec la censure. Mais leur rapport au public les rapproche. Prêcher des convaincus, c’est le crédo de Tabous qui ne s’adresse qu’au public de festival, au spectateur qui aime regarder les infos, se cultiver et s’insurger par plaisir. Le film n’existe que pour souligner des informations pré-existantes. Au mieux, il les affine par petites touches anecdotiques ou détails exotiques. Tout le monde parle de l’Iran ultra-islamiste, des dirigeants aux victimes, Farahani ajoute qu’on y tolère sans problème la sodomie et que la culture érotique y est ancestrale. Au pire, le film se contente d’utiliser les ravages du fanatisme (et les conditions de tournage) pour alimenter son courage citoyen et artistique. Evidemment, mieux vaut cela qu’un plaidoyer en faveur du régime, mais ici le cinéma passe son chemin.