La particularité de Suspicion est d’être un premier film fait par un artiste mûr et accompli, du moins dans son domaine. David Bailey, un des photographes de mode les plus distingués au monde, a décidé de s’essayer à la réalisation. Vieux briscard du Londres mondain et arty des années soixante, c’est un désir de longue date qu’il semble avoir assouvi avec ce premier long métrage. Dans le dossier de presse, il dit avoir une idée très précise de ce qui distingue la mise en scène de cinéma de la pose photographique, la manière de raconter une histoire avec des images et de vendre un produit ( Bailey est également réalisateur de pub). Pourtant, cette histoire -pour info, contentons-nous de signaler qu’il s’agit d’une piètre paraphrase de Rebecca de Du Maurier et du grand film de Hitchcock- semble apporter un parfait démenti à ces propos.
David Bailey a beau jeu de se vanter d’économiser les effets et de ne pas se délecter de mouvements de caméra ou de dégradés stylisés. Suspicion, glacial et désincarné, tristement esthétisant, est menteur comme une pub pour une crème antirides. Rien n’est vrai, rien ne sonne juste dans ce film dont les moindres effets tombent invariablement à plat. Pas plus le décor (un improbable loft où tout, des tasses à café aux taies d’oreiller, est d’un gris métal sinistre qui n’est là que pour avantager la nuisette rouge de Charlotte Gainsbourg) que les personnages, dénués de vie et d’épaisseur. Faute d’une direction et de dialogues dignes de ce nom, les acteurs sont perdus : Charlotte Gainsbourg s’en sort tout juste, Nastassja Kinski ne convainc pas vraiment, Charles Powell et un John Hannah des mauvais jours tentent mollement et sans succès de rehausser la médiocrité des rôles masculins.
Cette histoire d’amour, de jalousie et de fantômes tente de s’auto-justifier comme elle peut, à mi-chemin : John Hannah fait des grands gestes devant un tableau bourré d’équations compliquées, nous signifiant très sérieusement que la mécanique quantique et l’hypothèse d’un parallélisme entre le passé et présent ont beaucoup à voir là-dedans. Consternation. Et ce n’est pas la photographie d’une élégance facile, galvaudée, qui sauve le film de la superficialité. On a beau être un artiste et un grand visuel, au cœur de la maturité, devenir cinéaste ne se décrète pas. On peut voir, en creux dans Suspicion, ce qui oppose la mise en scène -qui brille ici par son absence- à la surface, au bavardage et à la poudre aux yeux. A sa manière, Suspicion est une leçon, sinon un film immature, vain et prétentieux.