L’effet pérenne, le seul peut-être, de la victoire de l’équipe de France de foot en 1998, se voit partout, se lit plutôt : c’est la diffusion d’une parole sinon savante, du moins précieuse, sur le football, ses héros, ses drames. Il suffit de songer à la fièvre herméneutique qui s’est emparée du pays à propos d’un coup de boule assené sur des pectoraux transalpins, ou au succès de la saga Les Yeux dans les bleus de Stéphane Meunier, série de reportages « embedded », comme disent les reporters de guerre, parmi l’équipe nationale. A tous ces phénomènes, une même ouverture : vers le commentaire, la célébration d’une geste -une certaine littérature, fût-elle l’oeuvre de footix pas toujours éclairés. En quelques années, le foot est devenu une expérience commune, un espace de dialogue, où l’on ne communique pas seulement pas signes de reconnaissance (façon supporters), mais aussi quasiment par quantité d’art ou de pensée que l’on peut en tirer : voilà le monde du ballon rond victime d’une acculturation, dont Zidane, un portrait du XXIe siècle fut le point d’orgue.
Les caméras hi-tech disposées par Gordon et Parreno autour du terrain n’avaient pas produit le résultat attendu (la rétribution en effets d’art du talent sportif), mais l’effet était saisissant : s’y déployait une dialectique très contemporaine entre minuscule et gigantisme. Dans Substitute, c’est un joueur de foot qui s’empare d’une caméra. Qu’advient-il ? Du sport ? Non, un journal filmé, un peu comme si Boris Lehman ou Joseph Morder avaient été sélectionnés par Domenech. Et puis, il advient la même chose que ce qui arrivait dans Zidane, et en un sens, Substitute est aussi son remplaçant, dans le même match : le dérisoire se cogne à l’événementiel, ce qui déprime notre Vikash national.
Vikash Dhorasoo, donc. Enfant terrible du foot français, adoré ou abhorré pour ses frappes de poussin, son élégante créativité, sa personnalité détonante, ses prises de becs dans les vestiaires (il a été viré de l’équipe névrotique du PSG et avait goûté les gants de Coupet). Sélectionné en équipe de France, il va cirer le banc tout au long de la coupe du monde, ne jouant en tout que 16 minutes sur 700 possibles, et se sent trahi par son coach. Lequel, finalement, n’aura pas à froncer les sourcils quant au fameux « film de Dhorasoo » : pas d’images volées, pas de Boumsong en slip dans les vestiaires ou de Ribéry jouant au ping pong avec Goleo la mascotte. Ray par contre pourra constater l’amertume de son poulain : « J’étais son fils, et il a fait jouer le fils du voisin », la phrase de Vikash est déjà plus célèbre que les remplacements systématiques à la 74e minute de jeu.
Substitute, c’est la chronique d’une déprime. Rien de grave : juste un joueur de foot qui ne joue pas, mais le film parvient à toucher, comme s’il s’agissait d’une histoire d’amour ratée. Dhorasoo (coincé dans sa chambre d’hôtel, entre lecture, coups de téléphone et parties de poker) comme Poulet (coincé chez ses logeurs) contrent la déflation de l’inutilité de leurs jours par l’inflation du plaisir de filmer, qui devient bientôt nécessité, bientôt raison unique d’un voyage allemand. World Cup était titulaire mais s’est blessé, et au bout de 70 minutes, Substitute l’a remplacé. Beau film, film triste, à la gloire des roues de secours.