Pour avoir produit, via sa société Anna Sanders les films d’Apichtpong Weerasethakul, il sera beaucoup pardonné à Charles de Meaux. Beaucoup, mais peut-être pas Stretch, qui marque son retour derrière la caméra huit ans après le stimulant Shimkent hotel. Les choses se présentaient bien, pourtant, en l’espèce d’une séquence d’ouverture assez efficace, suggérant joliment l’intrigue à venir, et introduisant la séduisante notion à laquelle le titre renvoie – soit, apprend-on : « dans les courses de chevaux, la ligne d’arrivée qui s’étend au fur et à mesure qu’on est dedans, s’étire, paraît interminable quand bien même elle mène à un point final » . Belle idée qui croise Pierrette Brès et Zénon d’Elée. Beau programme aussi, qui se propose de suivre un jeune et ambitieux jockey, à la carrière compromise par un test antidopage, dans son échappée éperdue à Macao où il relance cette carrière de façon fulgurante tout en fréquentant casinos, milieux interlopes, et une troublante jeune femme nommée Pansy. Il y avait là matière à une excitante fable moderne, et à la découverte d’un milieu – les courses hippiques- potentiellement cinégénique. Pas de chance : à l’évidence c’est le Charles De Meaux jockey (il a, jadis, pratiqué la course hippique) qui a réalisé le film.
Des quelques partis-pris mis en place, aucun n’est tenu ni même ne parvient à dépasser le stade de l’esquisse trop approximative pour convaincre. Ainsi, très symptomatiquement, ces SMS qui s’affichent à l’écran : est-ce parce que De Meaux prend soudainement conscience de la laideur et de la vacuité du dispositif qu’il l’abandonne en cours de route, là où peut-être il aurait fallu creuser plus loin, trouver une poétique ? Idem pour les plongées extrêmes qui, au début, embrassent décors et personnages, tout bonnement éjectées du programme au bout d’un quart de film. Aucun trouble dans ces soudains revirements, rien que le constat d’une mise en scène terriblement indécise et, très vite, l’ennui et une certaine affliction, dont parfois nous tirent quelques beaux plans, vifs mais trop rares, d’un Macao nocturne où enfin affleure un peu de magnétisme. Même perplexité devant la découverte que Douglas Coupland a participé à l’écriture. Impossible de déceler l’apport du romancier pop (qui par ailleurs a autrement réussi sa collaboration avec Pierre Huyghe, artiste compagnon de route de Charles De Meaux, pour l’excellent ouvrage School spirit) dans un récit aussi brouillon.
L’amoncellement de micro-échecs à tous les étages est tel qu’en route on en oublierait presque à quel point le film manque de direction d’acteur. Les deux Nicolas, Cazalé et Duvauchelle (le protagoniste et son meilleur ami, jockey lui aussi), s’effacent sous des dialogues effroyablement indigents, et les personnages de la longue partie asiatique sont aussi caricaturaux qu’imprécis. Complétant ce casting franco-chinois, la présence incongrue et fantomatique de David Carradine intriguait sur le principe. L’embarras face au traitement de son personnage (Carradine, s’il faut le rappeler, est décédé durant le tournage) est à la mesure de l’hésitation du cinéaste, qui ne sait s’il faut l’exclure dans les marges du récit ou lui conférer une aura de deux ex machina pour aboutir, en deux séquences rachitiques, à un non-choix (un de plus) involontairement cruel. La funeste anecdote, cependant, donne étrangement lieu à l’un des moments les plus intéressants du film, qui l’intègre abruptement à son récit en glissant un flash radio évoquant la disparition de l’acteur. Vertige fugace qui verse un peu de réalité dans la fiction et, pendant quelques secondes, installe dans le film un peu du trouble qui le reste du temps lui fait cruellement défaut. Quelques secondes à l’échelle d’un film d’une heure trente : c’est peu de choses, mais c’est toujours ça de pris.