Stalingrad commence de la pire manière qui soit (façon Il faut sauver le soldat Ryan en quelque sorte) : l’image et la musique viennent souligner en grande pompe l’horreur guerrière. Comme chez Spielberg, le sang vient gicler sur la caméra. Comme chez Spielberg encore, rien ne nous est épargné : les corps mutilés, le sadisme des officiers soviétiques (enfoirés de communistes !) qui tirent dans le dos des soldats refusant d’aller à la boucherie… Dans ce fourre-tout esthétisant surnage quand même, soyons honnêtes, une image, une idée : les hommes sont littéralement précipités dans ce cauchemar, sans rien y comprendre, totalement apeurés… Ils ne sont plus rien, plus qu’un. Une armée tragique, un tas de morts en sursis, rien de plus que de la chair à saucisse.
L’idée est à peine effleurée par Jean-Jacques Annaud. Le cinéaste préférant concentrer notre regard sur le beau Jude Law, transformé pour l’occasion en Vassili, troufion de base devenu par la grâce de ses talents de tireur et de la propagande, un héros national. On passera néanmoins sur cette imposture héroïque des films de guerre, de laquelle ne réchappent que les plus grands (dernier en date, Terrence Malick et sa Ligne rouge). Le réalisateur de L’Amant n’en fait décidément pas partie.
On lui pardonnera, en revanche, beaucoup moins l’aspect vieillot de ce Stalingrad, dont certains procédés rappellent les (mauvais) films de guerre de la fin des 60’s-début 70’s. Ah, ces soldats soviétiques qui parlent anglais ! Ah, ces acteurs célèbres dans la peau de personnages illustres (Bob Hoskins en Khrouchtchev) ! Ah, ces merveilleux sous-titres : « Campement allemand, automne 1942 », annonçant, sur fond de roulement de tambours, le changement de décor et de camp. On se croirait quasiment dans Un Pont trop loin ! Et que dire de ces nazis qui parlent d’abord allemand, avant d’adopter en petit comité la langue de Shakespeare… Non, décidément, la grandiloquence ne sied pas à Annaud. L’intime non plus, puisque jamais le cinéaste ne parvient à faire exister ses personnages autrement que dans la caricature ; ainsi, l’espèce de trio amoureux qui se crée entre Vassili, Danilov -son ami chef de la propagande- et Tania suscite une indifférence totale de la part du spectateur, dont l’attention est ailleurs.
Cet ailleurs, c’est ce qui sauve Stalingrad du naufrage. Très vite, Annaud oublie les affrontements de masse pour se concentrer sur un duel, celui qui oppose le super sniper Vassili et le major Koning, son homologue allemand si l’on peut dire. Les deux personnages se traquent, se « sentent », se tendent des pièges, se testent… Et le sort de la ville paraît devoir se jouer sur l’issue de ce duel incertain : duel guerrier, certes, mais surtout duel idéologique, duel de propagande. Ce combat inspire même au cinéaste l’une des meilleures séquences qu’il ait jamais filmées, où un habile jeu de miroirs permettra à l’un des duellistes de prendre un avantage décisif sur son adversaire. Pour un peu, on se croirait dans Duel dans le Pacifique, où Boorman, 30 ans plus tôt, confrontait sur une île un aviateur américain et un marin japonais. Mais les deux personnages étaient seuls ; chez Annaud, ce n’est pas le cas, et l’on est désolé de voir tout ce contexte de film de guerre chic et choc, de produit culturel à vocation historico-commerciale, reprendre le dessus…