Au fond, à quoi tenait la réussite si justement louée des deux premiers volets de la trilogie signée Sam Raimi (lire nos chroniques de Spider-man 1 et Spider-man 2) ? A cet alliage entre blockbuster pur jus et romance adolescente qui, d’un épisode à l’autre, passait par un spectre d’émotions aussi large que précis. A cette manière d’emmêler l’un à l’autre, comme une toile tissée autour d’un personnage à qui sont rendues ses zones d’ombres et ses contradictions autant que son rayonnement spontané. Dans un bel équilibre, les métamorphoses de Peter Parker occupaient tout autant Sam Raimi que les arabesques urbaines du super-héros. Si bien que pour résoudre ses dilemmes, Parker devait nécessairement en passer par l’élaboration d’une pratique strictement personnelle : question de gestes à inventer -d’un même jet de matière grise et filandreuse, d’une même tension de l’avant-bras, tisser une toile, inviter à l’amour, tuer le père, sauver le monde. Passages multiples franchis par le personnage, que l’on accompagnait de ses premières éjaculations arachnides à sa transfiguration christique avec la même fraîcheur. De cela, le troisième volet des aventures de l’homme araignée ne propose nulle synthèse, mais plutôt une dernière danse où il s’agit de régler tout ce qui, précédemment, était suspendu dans l’air comme le super héros entre les buildings new-yorkais.
La semi déception que l’on éprouve face à ce nouvel opus est avant tout affaire de scénario. On retrouve un Peter Parker au sommet de sa gloire, au bras de Mary Jane, laquelle tente de percer comme meneuse de revue à Broadway et le traite d’indécrottable nerd à l’occasion. Spider-man est l’ami des gens, il sauve, sauve à tours de bras. Quintuple problème : une météorite tombe du ciel, son vieil ami-ennemi Harry Osborn a toujours une dent contre lui, Mary Jane est malmenée par la critique musicale, un minet tente de lui prendre sa place de reporter exclusif dans son journal, le meurtrier de son oncle s’évade et se fait génétiquement modifier en traînant près d’un accélérateur de particules. Ça fait beaucoup. Trop de méchants, dont les raisons d’agir se diluent et se recouvrent. Manque une colonne vertébrale, comme dans le premier (la découverte des pouvoirs) et le deuxième épisode (la réflexion sur leur usage).
Frustration énorme, surtout, que l’affiche et le teaser du film ne tiennent pas leur promesse : on y découvrait un Spider-man en costume traditionnel suspendu à un fil et observant dans une vitre son reflet tout de noir vêtu. L’image était magnifique, mais en lieu et place d’un face à face aussi hitchcockien qu’alléchant entre Spider-man et son double négatif, une simple péripétie, fidèlement importée de la BD : un parasite tombe du ciel dans une météorite et choisit comme hôte, par le plus grand des hasards, Peter Parker. Contaminé par l’agent étranger, Spider-man s’abandonne à d’obscurs penchants (vengeance, violence), certes, mais tout cela demeure assez superficiel. De cette faiblesse de scénario, Raimi tire heureusement une belle idée -dans une église, dans un accélérateur de particules, partout : le costume, et le rôle qui va avec, ça vous tombe littéralement dessus, et ça vous colle à la peau.
Si ce troisième volet peine à se hisser à la hauteur des deux autres, Raimi a l’intelligence de se rabattre, faute d’enjeux forts en termes de narration, sur des questions plus sensibles, plus tactiles : la peau, le vêtement, la blessure, le costume déchiré. Il en fait le motif central des scènes les plus belles, à l’image de ce bel homme de sable, méchant protéiforme graphiquement très réussi, ou de la gueule de piranha tchernobylesque du salopard n°2. La blessure se montre moins par le sang ou la plaie que par l’accroc dans le latex ; la furie de l’homme de sable se signale moins par l’hématome qu’elle ne laisse sa malicieuse empreinte jusque dans les boots de l’homme-araignée. De même l’hybris de Peter Parker sous l’emprise de l’alien aux intentions lady-macbethiennes, consiste avant tout en sa transformation en kéké portant frange vaguement cold wave, le temps d’un agréable passage swingué sur l’air de « laissez le charme agir ». Et à quoi vérifie-t-on qu’il n’est pas libéré de son démon d’outre-espace ? A ce qu’il continue de porter, sous l’Armani fraîchement acquis, sa panoplie désormais sombre.
Raimi est plus habile quand il s’agit de faire passer les turpitudes de son héros via des détails ou des sortes de gags (le remake du spider-baiser dans la scène de la kermesse) que lorsqu’il donne l’impression, à l’image du finale, de devoir régler leur compte aux grandes thématiques de son cahier des charges. Peut-être est-il temps, pour préserver sa cohérence et sa plénitude, que cette brillante série se termine, mais la franchise est trop rémunératrice et l’on annonce déjà, sans que l’on sache si c’est Sam Raimi lui-même qui se chargera de les réaliser, des Spider-man 4, 5 et 6.