Sombre, disons le de suite, est un film décevant, bien en dessous des promesses offertes par la bande annonce. Sombre n’est pas le grand film qu’on espérait, le film qui allait nous sortir de la morosité de notre cinéma français, coincé dans ces voix d’impasse que sont entre autres les comédies foireuses, moches et sans talent du type Pédale Douce, et les « psychologiades » bourgeoises du type Place Vendôme. On attendait donc avec une grande impatience un film qui par sa forme ferait du cinéma comme on aime. Un cinéma au travail sur son langage, ses codes, bref un cinéma qui s’occupe pour une fois de la délicate question de l’esthétique cinématographique. Pour son premier long-métrage de fiction, Philippe Grandrieux a au moins le mérite de s’interroger sur les spécificités du médium qu’il utilise, chose qui n’est que trop rare, voire inconnue de nos réalisateurs français actuels. Il a donc le mérite de s’interroger sur la meilleure façon de représenter et non de présenter l’histoire d’amour entre Jean, un serial killer, et Claire, une jeune femme un peu en retrait de la vie. Dès les premiers plans, l’ambition du cinéaste est annoncée : le film explorera les images de la réalité concrète, ce qui se passe entre les gens, mais aussi et surtout, les images issues des inconscients respectifs des personnages. Sombre est fascinant de par cet appel à la subjectivité totale. Pour figurer ce que voient et ressentent Jean et Claire, Philippe Grandrieux a choisi la confusion, la confusion de l’univers sombre dans lequel ils évoluent (sombrent ?). Images floues sur des corps en train de mourir des mains de Jean, corps vivants et morts décomposés en morceaux par l’usage du « macro gros plan », qui les réduit à l’état de tâche rose et pâle. Confusion aussi des mouvements de caméra portée à la main, mais le plus souvent en proie à des tremblements qui dédoublent presque l’image. Couleurs et lumières souvent irréelles qui se rapprochent des plans virtuels de Breaking the Waves de Lars Von Trier. Philippe Grandrieux ne lésine pas sur les moyens pour parvenir à capter ce qui appartient -a priori- au domaine de l’irreprésentable. Si parfois, il réussit à créer quelques moments de grâce (voir la séquence de l’appartement, après la discothèque, et surtout le sublime dernier plan d’Elina Löwensohn qui semble doucement s’enfoncer vers le hors cadre), le film n’évite malheureusement pas l’écueil du trop plein. A force d’effets qui finissent par être lassants du fait de leur redondance, il frise souvent la préciosité, voire la prétention. Plus de simplicité aurait eu paradoxalement plus d’impact, et ce n’est pas par hasard si la dernière partie du film, plus apaisée que la première, est la plus réussie. Il est aussi dommage de la part du cinéaste d’avoir négligé le scénario, étonnamment classique pour un tel sujet : l’attirance-répulsion qu’éprouvent les victimes à l’égard de leur bourreau est souvent utilisée pour rendre plausible des situations assez improbables. Jusqu’à la fin, assez politiquement correcte, qui figure la détresse de Jean, couché au pied d’un arbre dans un plan sorti tout droit du Mère et Fils d’Alexandre Soukourov. Si plastiquement Sombre est un film audacieux, il est pourtant loin d’égaler un autre film sur l’intériorité d’un serial-killer, le très mystérieux et fascinant Clean Shaven de Lodge Kerrigan.
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