Styliste et expérimentateur, capable de réussir un polar feutré (Out Of Sight), de s’imprégner de l’imaginaire d’un écrivain comme Kafka pour raconter sa vie ou d’ »auteuriser » une série réaliste (Traffic), Steven Soderbergh reste un phénomène curieux, comme rarement Hollywood en a produit. Ce voltigeur des studios (depuis quinze ans avec un long passage à vide) n’est jamais là où on l’attend, frappant souvent au coeur du box-office. Après le demi-succès de l’expérimental Full Frontal, Soderbergh a cette fois agi sous l’égide de celui qui pourrait être son contraire absolu, l’apôtre des grandes machineries spectaculaires et de l’effet spécial James Cameron. C’est en effet Cameron, qui, fasciné par le roman de Stanislas Lem, détenait les droits de Solaris. Cette parabole métaphysique aurait d’ailleurs pu être le prochain film du réalisateur d’Abyss, si Cameron n’avait préféré s’en remettre à la vision de Soderbergh, pour se contenter du rôle du producteur.
Le parti pris de Soderbergh est clair : s’éloigner de l’oeuvre d’Andreï Tarkovski, somptueuse méditation sur la vie éternelle, pour ramener l’histoire à une dimension plus modeste et humaine, celle d’un homme confronté à la répétition surnaturelle d’une « love story » à l’issue tragique. Dans un futur indéfini, le psychiatre Chris Kelvin, est appelé par son ami Guibarian à bord de la station Promethée, en orbite autour de la planète Solaris. A peine arrivé à bord, il constate le suicide de son ami, et l’étrange comportement de l’équipage. La nuit venue, Rehya, la femme qu’il a par le passé aimé, quitté et qui s’est donnée la mort, lui apparaît en chair et en os. Chez Tarkovski, le départ de Chris était précédé d’un long prologue, où des scientifiques débattaient sur le témoignage d’un occupant du vaisseau. Les enjeux métaphysique, voire religieux, du film étaient ainsi posés dès le départ. Soderbergh décide au contraire de nous faire entrer de plain-pied dans un univers technologique abstrait et glacé, dans une certaine irréalité qui prépare l’apparition surnaturelle de Rehya : on navigue dans une apesanteur Kubrickienne (en quoi Soderberh est plus proche de 2001 que de Solaris, deux films pourtant aux antipodes), où un George Clooney – plus « calmé » que réellement mélancolique – passe en revue sa vie passée. Monteur virtuose, Soderbergh mutiplie les flash-back : la relation amoureuse se construit à l’écran selon un temps flou et fractionné, reposant sur le jeu des images intercalées. La séquence de drague entre Clooney et Natascha McElhone rappelle celle d’Out Of Sight où le même Clooney séduisait Jennifer Lopez, tandis que Soderbergh s’amusait à monter en simultanée la scène suivante dans la chambre d’hôtel. Ce procédé, convaincant dans le cadre d’un polar ironique et léger, l’est moins dans Solaris. La présence de Rehya, le remord de Chris ne peuvent être exprimés par quelques jeux d’éclairage et un montage bien balancé. La sophistication du cinéma de Soderbergh (mal dissimulée par une feinte sobriété) paraît ici terriblement déplacée : le cinéaste se comporte en artificier alors que les enjeux essentiels de Solaris réclamaient une certaine évidence, des choix simples et audacieux. Et surtout, une exigence autre dans la direction d’acteur, Clooney n’étant vraiment pas l’homme de la situation. En voulant ramener Solaris à une histoire d’amour et de seconde chance -des thèmes bien identifiables et qui tiennent dans un « story-line »-, Soderbergh en a détruit tout le mystère. Soutenu par aucune réflexion morale ni esthétique, Solaris est un remake bâclé et creux, auquel on peine à trouver une raison d’être.