Un an après la sortie de Citizenfour et son couronnement aux Oscars, on serait bien en peine de trouver les raisons d’être de ce Snowden. C’est comme si Oliver Stone s’était piqué d’offrir au documentaire de Laura Poitras une sorte de prequel de luxe, reparcourant le trajet intime de son personnage en le fixant de force sur les rails du biopic hollywoodien. On imagine sans mal ce qui a intéressé le cinéaste militant dans l’itinéraire d’Edward Snowden : au-delà de l’éternel croisade contre le complexe militaro-industriel américain, Stone s’est toujours pris d’affection pour ce genre de héros à deux visages, patriote fadasse reconverti par le cours ironique du destin en icône de la contestation citoyenne.
C’était, hier, le Marine paraplégique de Né un 4 juillet, ou le District attorney buté de JFK, dont les CV annoncent idéalement celui de ce nouveau lanceur d’alerte : jeune recrue volontaire mais fragile, Snowden voit en effet ses rêves de Forces Spéciales se briser en même temps que son genoux lors d’un entraînement qui tourne mal. Mais si cet incident l’oblige à embrasser une ingrate carrière d’informaticien, ses prodiges dans le domaine du renseignement lui permettront rapidement de ressusciter ses ambitions patriotiques, en le menant sans délai aux portes de la CIA et de la NSA. La suite, on la connait : découverte de Big Brother, prise de conscience, fuite, révélation dans dans les journaux, exil. On la connait, et c’est bien le problème. Car de JFK à Snowden, d’une affaire d’état à une autre, rien ne semble avoir changé au rayon “film dossier” de Stone, qui continue d’appliquer son maigre savoir-faire de cinéaste engagé, entre grammaire d’investigation nineties et filmage high tech tous azimuts, façon pilote des Experts à la NSA.
Il s’agit donc toujours de sonder les coulisses opaques d’un événement, de déverser un flot d’images et d’explications là où elles feraient censément défaut, de révéler ce qui voulait rester cacher, de combler un manque. Or, justement, rien ne manquait dans le cas de l’affaire Snowden : aucune zone d’ombre à éclaircir, aucune pièce de puzzle à retrouver, aucun fleuve trouble à remonter, juste le procès-verbal d’un récit éventé et couru d’avance, déployé depuis ses origines à la lumière d’une totale transparence factuelle. D’où un thriller paranoïaque 2.0. en redondance constante avec son sujet, qui donne le sentiment de trimballer sa caméra bruyante et sa machinerie scénaristique lourde dans le hors-champ de Citizenfour, pour mieux en hypothéquer la puissance calme et synthétique.
Pas de quoi se scandaliser devant ce film sans grand intérêt, sinon d’offrir de patienter avant la sortie du prochain Laura Poitras, Risk, un documentaire aiguisé sur Julien Assange — qui avait lui aussi reçu les honneurs d’un biopic foireux. C’est qu’en deux films presque intégralement tournés entre quatre murs, la cinéaste semble avoir trouvé la position parfaite, entre l’archiviste consciencieuse et la groupie énamourée, pour percer l’intimité vacillante de ces rock stars du cybermilitantisme, animés par la fierté et l’angoisse de faire tanguer des États depuis la tranquillité placide de leur chambre d’hôtel.
Plus que tiède même… et quelle fin atroce.