Après les phénomènes Le Sixième sens et Incassable, Shyamalan revient à l’assaut du box-office avec Signes, ambitieuse tentative de SF ésotérique et commerciale. Les deux premiers films du cinéaste témoignaient moins d’un véritable renouveau des genres abordés que d’une immense faculté, souvent aux limites de l’esbroufe, d’exploiter le fond de commerce d’un cinéma hollywoodien rentré et contenu. Fonctionnant, comme un Usual Suspects, sur des pirouettes fulgurantes du récit (la fin qui renverse tout), ils n’en restaient pas moins de brillants exercices formels bien au dessus de l’académisme ambiant des blockbusters US.
Signes vient donc à point nommé pour établir une sorte de pré-bilan de l’oeuvre en construction de celui que d’aucuns considèrent comme le nouveau Spielberg. Première bonne nouvelle, le cinéaste y témoigne d’un humour et d’un esprit d’autodérision qui, sans jamais nuire à la portée « sérieuse » du film, laissent à penser que Shyamalan est beaucoup plus qu’un petit malin. Autour de cette histoire aux allures d’épisode de luxe des X-Files (des champs de maïs se trouvent marqués de traces extraterrestres sans que l’on ne sache vraiment ce qu’elles signifient), la personnalité du cinéaste s’affine et s’épanouit : celle d’une espèce de charlatan au sens noble, extrêmement brillant, apte à créer un mystère très entretenu, sur le mode d’un Cagliostro ou d’un Raspoutine hollywoodien. Shyamalan apparaît dans le film, un instant, et tout s’efface autour de lui. Cette intrusion (l’autre, l’étranger qui magnétise) peut être vue comme une trouée dans le récit. Doublé de scènes à teneur quasi-grotesque (les membres de la famille qui mettent des chapeaux d’aluminium de bric et de broc sur leur tête pour éviter d’être « lus » par les E.T.), fines et drôles à la fois, cet aspect donne à Signes un caractère étrangement fascinant.
Mais Signes témoigne en même temps d’une portée plus sérieuse, n’oubliant jamais de payer son tribut horrifique au spectateur. Les scènes les plus angoissantes (courses nocturnes dans les champs de maïs) sont remarquables, tout comme la façon qu’a le film de rester constamment en dedans, de ne jamais sortir d’un espace mental étouffant. Tout s’y passe au coeur d’une ferme isolée, entre trois personnages (Mel Gibson, le père, son fils et un proche). Signes est de fait le récit d’un drame familial intérieur (la mère absente) et son prétexte ésotérique apparaît comme une matrice fictionnelle purement métaphorique. L’extérieur, vu à travers un simple écran de télévision, est presque absent du film, comme les E.T. qui forment une menace totalement abstraite, avant d’exploser en un final magnifique (tout un combat vu dans les reflets du poste de TV). En retrouvant les vertus classiques du grand cinéma américain, le film condense une grande épaisseur dramatique et s’appuie sur une mise en scène limpide et classieuse, d’une extrême finesse plastique. Cette oeuvre d’effroi rentré, par son atmosphère nocturne, luminescente, et la force de son sujet (une reconstruction familiale), apporte la certitude que Shyamalan, plus que le brillant magnétiseur annoncé, est aussi un auteur dont les obsessions n’ont sûrement pas fini de nous hanter.