Retour en douceur pour Alexander Payne. Les mauvaises langues diront plutôt mitigé, tant Sideways se la joue modeste. Presque un mode veille, ce film : bons acteurs, climats feutré, son classicisme se rapproche d’un chouette téléfilm pour bobos américains. Explications : le casting, qui de Paul Giamatti à Virginia Madsen, rassemble les valeurs solides du cinéma indépendant, et le cadre, la route des vins californiens qu’arpentent deux amis en vacances. L’un, genre beau gosse plus très frais (l’inconnu Thomas Haden Church, réjouissant clone de Kurt Russel) est acteur de quatrième zone. A une semaine de son mariage (avec une fille d’industriel friqué), il veut un enterrement de vie de garçon mémorable. Son meilleur pote l’accompagne, un prof de collège un peu loser plaqué par sa femme et détruit à petit feu par les refus successifs des maisons d’édition pour le manuscrit qu’il tricote depuis des années.
C’est lui l’épicentre du film. Interprété par Paul Giamatti, abonné aux dépressifs chroniques depuis sa prestation d’auteur de BD prolétaire d’American splendor, le personnage se teinte d’une médiocrité savoureuse, bel équilibre sobre dont Payne calque le tempo au film entier. Sa carcasse cabossée, son regard mi-abattu, mi-agressif en font l’un des acteurs les plus fascinants du moment, entre un Ben Stiller enlaidi et un rêvasseur d’Hal Hasby. Comme du temps des grands films hollywoodiens à la première personne, le cinéaste se contente de le suivre. Les deux compères tchatchent vin, dégustent, jouent au golf et draguent des serveuses. Commence un marivaudage bizarre, au moins pathétique mais pas toujours hilarant. Alors que l’un couche avec tout ce qui bouge dans un délire compulsif assez marrant, l’autre séduit une ravissante connaissance (la sublime Virginia Madsen, qu’on ne croyait plus jamais revoir) avec une gravité lourde, quasi-Houellebecquienne, tout en contre-temps frustrants.
Subtilement maîtrisée, cette cyclothymie modifie sournoisement le mouvement du road movie. Alors qu’il fait croire aux grands espaces, multiplie les plans larges de la décapotable du duo qui sillonne les routes, Payne ceinture l’évasion rêveuse par de brusques retours à la réalité. En témoigne le motel où sont fixés les personnages, cruel petit théâtre du réel glauque à souhait d’où se dénouent sinistrement les planches de salut. Tout est question de dosage pour le cinéaste, qui entre apparents laisser-aller de la mise en scène et charges caustiques de l’écriture, tisse sa toile, assouplit les clichés dans un rythme exponentiel. Du dépliant touristique sur les vins de Californie, il glisse vers un pilote rêvé de série, avant un final plus intense de comédie romantique viciée par la sinistrose. Drôle de film.