« Si Bleu, si calme » est le vers d’un poème que Paul Verlaine a écrit lors de son séjour à la prison de Mons. Et c’est bien de poésie et de prison dont il est question dans ce documentaire d’Eliane de Latour. Cette ethnologue-cinéaste qui enseigne le cinéma anthropologique à l’École des hautes études en sciences sociales avait déjà traité le thème de l’enfermement en décrivant les relations des quatre femmes recluses d’un chef traditionnel du Niger dans Contes et comptes de la Cour (1993). Pourtant Si bleu, si calme ne s’apparente en rien à l’observation ethnographique ou au grand reportage et ne se compose ni d’interviews filmées, ni de scènes de direct qui tenteraient de rendre compte des conditions de vie des détenus ou des rouages de l’institution. Si bleu, si calme essaye plutôt d’aborder la réalité de l’univers carcéral de l’intérieur.
Le quotidien des détenus, en effet, ne nous est pas restitué par le seul biais du regard extérieur de la documentariste. Les détenus ont participé de façon active au film. L’idée de ce documentaire a d’ailleurs surgit alors qu’Eliane de Latour animait un atelier vidéo à la Maison d’Arrêt de la Santé. Le travail de création a donc été collectif : les prisonniers ont eux-mêmes écrit les textes qu’ils lisent, des textes dans lesquels ils ont confié leurs rêves et leur souffrance, leurs petits plaisirs et leur désespoir. La réalité carcérale qui nous est donnée à voir est donc celle qui se passe dans la tête des détenus. Si bleu, si calme s’attache à l’imaginaire et à l’émotionnel de ceux qui endurent la prison et subissent chaque jour l’épreuve de l’enfermement.
Pour restituer la façon dont les détenus vivent leur rétention, la réalisatrice a osé un parti-pris formel et esthétique risqué. Elle a choisi d’utiliser essentiellement des photographies, réservant quelques scènes filmées pour les couloirs arpentés par les surveillants. Ce choix des photos dans lesquelles les détenus se mettent en scène, se justifie tout a fait puisqu’il met en valeur la lecture des textes et renforce leur dimension poétique. Les images fixes accentuent également l’idée de temps mort, d’ennui et de vie figée. Eliane de Latour avait d’ailleurs déjà utilisé ce procédé dans un de ses précédents films, Le Reflet de la vie (1989). Il s’agissait alors de restituer la lenteur et les temps morts propres à la vieillesse.
Les photos fixent les petits gestes quotidiens, rappellent l’étroitesse de la cellule que rendent insupportable la solitude ou au contraire la trop grande promiscuité, s’arrêtent sur un coin de ciel bleu découpé par les barreaux de la fenêtre. Mais elles évitent les visages : Eliane de Latour a volontairement évité toute allusion à l’objet de la condamnation et à la justification de la peine. Il s’agit moins de préserver l’anonymat des détenus (leur nom apparaît au générique) que de leur donner une chance de s’exprimer à l’abri des étiquettes et de permettre aussi aux spectateurs de les écouter en oubliant (un moment) leurs préjugés.