En 2005, Shanghai dreams raflait le prix du Jury à Cannes, breloque un peu bâtarde, entre bronze et chocolat, qui récompense régulièrement ces films flottants ni bons ni mauvais, figés dans un académisme vaguement bousculé. Avec le temps parfois, quelques-unes de ces oeuvres se décantent, et l’on voit poindre une subtilité, une beauté discrète qui posent avec plus de certitude la prescience du grand film timide. En tout cas, c’est comme cela qu’on vend maintenant Shanghai dreams dont la sortie tardive, bien longtemps après les mastodontes primés, témoigne d’une gêne autant que d’une posture un peu désespérée. Son cinéaste, Wang Xiaoshuai (Beijing bicycle, Frozen), se retrouve depuis bien longtemps dans le collimateur déprimant et pervers des petits maîtres un peu trop sages pour leur age (Wang Chao, Ang Lee), au cinéma nourri du consensus folklore-modernité et de tempêtes dans un verre d’eau.
Shanghai dreams est une chronique, souvenirs d’enfance du cinéaste dont la famille expatriée d’office par le régime de Mao dans une province reculée ne s’est jamais remise de cet enracinement forcé. Alors que le désir des parents de retourner à Shanghai vire à l’obsession, leur fille s’adapte à une atmosphère qu’elle fait sienne envers et contre tout. Comme on pouvait s’en douter, le film court plusieurs lièvres, de l’observation sensible à la critique politique. Chaque partie y trouve son compte tout en y laissant des plumes (histoires d’amour contrariée pour la fille, espoir et frustration pour les parents), éternelle rengaine qui finit sous l’indolence du cinéaste, à se muer en ritournelle. Il y a dans Shanghai dreams une volonté permanente de transformer la moindre scène en pan musical d’une structure évanescente, où les situations se répètent à l’identique jusqu’au pourrissement pur et simple du moindre enjeu.
Seulement la méthode ne porte pas ses fruits. On ne retient de Shanghai dreams qu’une flopée d’images engourdies, davantage fulgurances visuelles que pièces maîtresses d’un grand tout. La plupart du temps, ça frise le non film, Xiaoshuai tombant dans un nihilisme totalement stérile, où la thèse (enracinement et déracinement impossibles) se confond avec la mise en scène, structure ici ouvertement artificielle où la moindre montée en puissance ou tentative d’incarnation est volontairement désamorcée. A cela, deux conséquences : un coté rigide et scolaire qui ferme les images sur elles-mêmes et les limite au concept trivial (l’étrangeté est juste folklorique quand on voit notamment des ploucs se trémousser sur des tubes américains), et surtout, un ennui profond et véritable, recueilli sans filtre, que le cinéaste impose clairement à tout le monde. Ne pas s’en vouloir de bailler donc : Shanghai dreams est fait pour ça.