Ethylisme hardcore + vide narratif à peu près total : à ceux que la formule du cinéma sharunasbartassien rebute, et ça se comprend, on ne saurait trop conseiller de faire un effort, au moins cette fois-ci, pour regarder les vingt premières minutes de Seven invisible men. Ils y verront, plus qu’une pure démonstration de force, une prodigieuse leçon de ténèbres. Ces premières minutes, comme le reste du film, ne paient pas de mine : une grande maison vide, un peu crasseuse, où se terrent quelques outlaws. L’un gratte sa guitare, l’autre chuchote avec sa copine des banalités à propos d’un La Redoute lituanien, d’autres encore errent à travers les corridors. Le film est à peine commencé qu’il est déjà embrassé par une lumière crépusculaire et jaunâtre, comme s’il s’ouvrait par sa fin, par le massacre terminal alors que tout le monde bouge encore. Pause. Par la fenêtre on voit des flics préparant une descente. Dans la maison, la fuite s’organise, on sort un flingue, on range sa guitare, on glisse d’une pièce à l’autre, vers la sortie. Mais comme il semble que tous sont déjà des fantômes, cette échappée est plus qu’une évasion, c’est un évanouissement, une évaporation. Toute l’image tombe en syncope : raccords dissolvant une image dans l’autre, sorties de champ vaporeuses, fins de plans qui semblent disparaître d’eux-mêmes, petites fusées avalées par leur propre fumée, par le vortex moelleux d’un siphon invisible. Pour Bartas, toute extériorité relève du mystère. Aussi la fuite proprement dite de ces rebelles dont on ne sait rien prend elle-même une allure d’une dissolution. Mercedes du groupe qui traverse un essaim d’oiseaux explosé comme une bulle de savon. Une petite demi-heure de prodige.
La suite ressemble davantage au Bartas que l’on connaît, que l’on étiquette volontiers et non sans raison cinéaste surdoué mais chiant comme la mort, artiste rugueux et misanthrope et grand prêtre de bacchanales à la sensualité décharnée. Après l’escapade en effet une destination en remplace une autre, à l’horizon indiscernable de la suite se substitue un no man’s land insulaire, lieu de chute du personnage principal qui abandonne ses comparses pour retrouver la maison familiale au milieu de nulle part. Retour à l’ordinaire bartassien, qui est tout sauf ordinaire : vidé de toute substance, le récit s’exténue dans une incroyable scène de beuverie, d’une violence inouïe, dernière étape avant l’ultime consomption par le feu. Désastre contemplé dans une indifférence totale et cruelle, beauté délirante et crevante d’un ballet nihiliste et alcoolisé où s’établit à jamais la puissance mortifère de ce cinéma radical.