Il fut un temps où Jean-Jacques Annaud avait deux ou trois choses relativement dignes d’intérêt à dire, et se servait plutôt habilement de la caméra pour les communiquer. A défaut d’attirer les foules, son premier long métrage, La victoire en chantant lui valut l’Oscar du meilleur film étranger et une certaine reconnaissance critique. Mais ce jeune cinéaste français n’en avait manifestement cure, préférant, très vite, s’orienter vers des concepts filmés beaucoup plus lucratifs. Et ce furent, coup sur coup, La guerre du feu, Le nom de la rose (à une époque où l’on pensait qu’Umberto Eco était le plus grand romancier de tous les temps), et L’ours, retour aux valeurs primitives en pleine hystérie consumatrice. Sans oublier L’amant, qui nous valut simultanément l’une des dernières salves pathétiques de Marguerite D. et l’une des plus grandes questions soulevées par le cinéma de cette fin de siècle… « Dis, Jane March et l’amant-dont-personne-ne-se-souvient, tu crois qu’ils ont fait ça pour de vrai ? »
Bref, du jeune cinéaste français prometteur, selon la formule consacrée, il ne reste plus rien. Sans doute à l’étroit dans notre modeste hexagone, Annaud plane désormais à d’autres altitudes -d’indigence et de prétention, comme en témoignaient, l’an passé, ces Ailes du courage, ou le cinéma en IMAX 3D, un procédé révolutionnaire, parait-il, qui semble pourtant avoir fait long feu… Désormais, son espace vital s’étend jusqu’au toit du monde, l’Himalaya, ici érigé en lieu idéal de purification et de rédemption pour un héros qui (à en croire l’embryon de polémique naissante) partait pour d’autres sortes de purifications. Bref, en décodé, la rencontre d’un gentil et bel SS alpiniste avec le bouddhisme et le jeune Dalaï-Lama d’avant l’invasion chinoise et l’exil. Sept ans au Tibet, donc, et revoilou notre éphèbe blond nazi de retour en sa Germanie natale complètement changé.
Edifiant, vous dit-on. Sans revenir sur l’inespérée (?) rampe de lancement que le débat nauséabond autour de ce Heinrich Harrer constituera pour ce film, on ne sait que déplorer le plus. De cette énième tibétainerie éclose sur grand écran en quelques années (et en attendant le Kundun de Scorsese…), on s’étonne seulement de ne pas voir apparaître les incontournables Jean-Claude Carrière et Richard Gere au générique -on y aurait presque gagné au change. Le premier n’eut sans doute pas fait pire que la scénariste de… Under the cherry moon ! Quant au second, aussi athlétique et ricain jusqu’au bout des ongles que Brad Pitt, sa tignasse désormais poivre et sel l’aura forcément desservi…
Du néant de ce film ressort la seule et plutôt agréable surprise d’une mise en scène ultra-académique, mais néanmoins sans trop d’esbroufe visuelle, presque aux antipodes du décoratif Little Buddha de Bertolucci. Jean-Jacques Annaud n’a donc toujours rien à nous dire, au moins le fait-il savoir un peu longuement, certes, mais un tout petit peu plus sobrement. Prometteur, vous dit-on…