Après le short qui lui fut taillé au Festival de Cannes 2006*, Selon Charlie pointe le bout de son nez, en quête d’un peu d’amour ou de pitié, c’est selon, en quête d’une seconde chance, c’est certain -en ayant pris soin de faire un régime pour sauver les meubles (une version courte pour la sortie en salles). Il faut se lever tôt, toutefois, pour adhérer à un tel fantasme de cinéma d’auteur classieux. Car Nicole Garcia, c’est un peu la Lelouch du riche, où Nick Cave remplace Nicole Croisille, où Vincent Lindon et Jean-Pierre Bacri se substituent à Michel Leeb et Ticky Holgado. Mais où les hasards et les coïncidences, le tourbillon de la vie, les grandes scènes de dialogues entre grozacteurs au turbin, cachent mal l’inanité du propos (la vie est complexe, en gros) et la pauvreté sans fond des idées -le cinéma bourgeois dans toute sa splendeur, avec sa forme léchée, sa sale propreté, ses habits de riches, sa tête (à claques) de premier de la classe, son académisme réactionnaire. Tout est perdu lorsque, à l’image de Nicole Garcia, on vise le haut-de-gamme, le ripoliné, le qualiteux-pâteux.
Dans une ville côtière de province, non identifiée, se croisent sous le regard de Charlie, 10-12 ans, une poignée d’hommes qui en l’espace de trois jours seront confrontés à leurs choix, à leurs destins, à la réalité de leurs actes, etc., bla bla bla… Pas un gramme de vérité et de sincérité, que l’affectation faux-derche du regard de la réalisatrice, Nicole Garcia, la-femme-qui-filme-les-hommes-brisés. Le film est pré-fabriqué, surfabriqué, à l’image de ses dialogues surécrits et sursignifiants, ou de son casting de champions, de professionnels de la profession de comédien. Et puis il y a Bacri. Bacri ! Le chien battu et néanmoins aboyeur du cinéma français n’a jamais été aussi loin dans l’auto-caricature, à tel point que sa surréaliste prestation ressemble à un found footage de ses apparitions aux César : ulcéré de partout, il râle, tire une gueule longue comme ça, vous fait du Bacri pour pas cher. Stop Jean-Pierre, tu peux retourner à ta loge, on t’a tous bien vu. Odieusement lisse sous ses dehors fracturés, Selon Charlie… incarne une certaine horreur du cinéma français, un cinéma centriste, centré, extrémiste du centre, fanatique du rien, mou comme une chique et qui sent le sapin. Et puis qu’est-ce qu’on s’en tape de tout ça !
* Parenthèse : la présence de Selon Charlie, unanimement (ou presque, il s’en trouve toujours pour défendre ça) considéré comme une daube, dans une compétition officielle par ailleurs très faible (rien d’inoubliable, à part le Costa, et quelques nanars), avait fait parler sur la Croisette. La sélection du prochain Festival de Venise (à partir du 30 août 2006), où se retrouveront Lynch, De Palma, Apichatpong, Verhoeven, Kurosawa, Oliveira, les Straub, Satoshi Kon, Tsai Ming-liang et d’autres, est incroyablement alléchante, davantage que les deux ou trois dernières édition cannoises réunies. Un gros camouflet pour le plus grand festival du monde, qui dépend certes des hasards de la production, mais qui a intérêt à se secouer s’il veut conserver son leadership sur le plan du cinéma (pour le reste, Cannes restera toujours Cannes).