Ses deux précédents films ont imposé Edgar Wright comme le petit maître d’un genre dont il est probablement l’un des seuls représentants : l’hommage-tordant-exempt-de-sarcasme-parodique. Qu’il s’attache au film de zombies (Shaun of the dead) ou au buddy movie policier (Hot fuzz), jamais celui-ci ne ricane du territoire visité, s’y amusant avec une sincère tendresse. L’adaptation du comic-book Scott Pilgrim (six volumes signés Bryan Lee O’Malley) lui donne l’occasion de faire un pas de plus à l’écart de la parodie : ici, pas de référent cinématographique précisément identifiable (comme l’étaient Romero ou le tandem de flics à la Riggs / Murtaugh dans les deux autres), mais plutôt une constellation de signes de reconnaissance venus de sources lobrow, du manga, des comics, des jeux vidéos ou des séries.
Cet éclatement kaleïdoscopique est à la fois sa force et sa limite. Le film parvient, sur ce terrain protéiforme, à dépasser en efficacité et en cohérence foutraque son matériau d’origine, et à faire de celui-ci l’une de ses innombrables briques (certaines séquences intègrent le trait de O’Malley). Son récit s’en tient aux aventures sérielles qui constituaient le fil des albums : Scott doit affronter successivement les sept ex maléfiques de la fille de ses rêves. Scott à l’écran, c’est l’omniprésent Michael Cera, ici (provisoirement ?) sauvé par le rôle qui précisément aurait dû l’enfoncer. Souvent, la quête de cet adorable protagoniste évoque un Kick-ass qui aurait troqué son cynisme contre une belle innocence, ou encore une sorte de Kaboom puceau. Les personnages ont peu ou prou le même âge que ceux d’Araki, mais l’essentiel pour eux semble se tramer à bonne distance de leurs caleçons. La mort est aussi absente que le sexe (ou alors, comme dans la chanson de Diabologum : « la mort dans les jeux vidéo, trois fois par pièce ») : rien n’y est fondamentalement grave, tout est battle, des tremplins rock (Scott est bassiste d’un groupe indie) aux rencontres avec les ex qui chapitrent le film. Surgissant sans crier gare, celles-ci sont chorégraphiées à la manière des beat-them-all vidéoludiques, et, ponctuant le récit de séquences biger than life autonomes, installent le film sous un patronage de plus : la comédie musicale classique.
Mais le basculement entre réel et imaginaire, s’il est souvent irrésistiblement brusque, n’opère jamais selon une nette et rassurante césure : en chaque instant est figurée une superposition mouvante du trivial et de sa transfiguration épique. La mise en scène excelle dans la représentation littérale de cette odyssée d’aventures pop en quoi le filtre de la perception d’un collégien transforme le quotidien – que Scott Pilgrim ne le soit plus, collégien, depuis vraisemblablement une dizaine d’années, devrait peut-être nous inquiéter, reste que l’opéra 8 bits fonctionne à plein (le combat final en est presque bouleversant). Le charme de l’ensemble doit aussi beaucoup au parfum de cinéma eighties qui infuse le film. Plus qu’un film en particulier, c’est l’esprit des productions de ces années-là qui est convoqué, au même titre que celui des mangas ou du garage rock. Plus fine qu’il n’y paraît, la B.O. ne ploie pas sous le poids de sa trop évidente dream team (Nigel Godrich aux commandes et Beck un peu partout) : les exercices de style brillent d’une sincérité parfaitement dans le ton. Alors, on adore ? Pas loin, mais il manque tout de même au film une pointe de grâce, ce petit quelque chose qui lui aurait permis d’être le premier vrai successeur que Speed racer cherche encore. Edgar Wright réussit néanmoins joliment son coup, soutenu par un casting que domine le regard irrésistible de Mary-Elisabeth Winstead, et cette étonnante surprise : la résurrection de la fratrie Culkin – le cadet Kieran, qui compose un savoureux coloc gay.