Aki Kaurismaki fait des émules. Après la tentative poético-foireuse des anars de Groland (Aaltra), l’Allemand Michael Schorr fait lui aussi ses gammes sur les partitions du grand maître. Avec ses plans graphiques, son univers ouvrier au burlesque pince sans rire, Schultze gets the blues, c’est avant tout du copier-coller. Chiadé techniquement, tenu de bout en bout par une structure de chronique raplapla, il va même un chouilla au-delà. Ni ré-appropriation obsessionnelle genre Hitchcock-De Palma ni tâcheronnade décérébrée, le film a plutôt des airs de galop d’essai, d’élan pour une carrière future. En réglant son pas sur le pas de son père, Schorr pose ses jalons, construit doucement, tout doucement, sa propre trajectoire. Vu la micro-cadence du film, difficile encore d’en cerner précisément la direction, mais de cette fragilité naît quelques braises de suspens.
Même topo pour l’intrigue : des sueurs froides avant une détente ultra-progressive. Plongée dans la sinistrose ambiante d’une petite citée minière, avec plans géométriques sur terrils et trognes impayables, on traînasse avec trois néo-retraités. Ils s’emmerdent à mourir, jouent aux échecs, pêchent à la ligne et s’enfilent des mousses. Pas le paradis sur Terre, mais ça pourrait être pire. Comme en témoigne la mise en scène, à l’unisson des personnages : pas finaude sans pour autant basculer dans la bêtise, elle fait de la mollesse un concept. C’est donc hyper sinueusement que le plus gros des trois, le Schulzte du titre se démarque enfin. Epris d’un air cajun capté au hasard sur sa vieille radio (scène mémorable, ultime maître-étalon du tâtonnement), il s’envole pour la Louisiane, mère-patrie du genre, assister à la fête locale de la saucisse.
Voilà, on tient le sens figuré du titre. Un autre film commence, seulement boosté par le changement de décor. Pourtant même pas décanté socialement, le personnage s’y révèle presque, devenu soudainement un Monsieur Hulot teuton, visiteur muet d’une Amérique bienveillante et cocasse, soeur ouvrière, cousine prolétaire de la vieille Europe, que le festival bavarois fait fusionner sans mal. Les plans carrés et propres de Schorr quadrillent les bayous, les transforment en un solide terrain de jeu burlesque (le canard tué par les chasseurs tombant tout-cuit dans la mini-péniche de Schultze) où baigne une bienveillance attendue mais touchante. Au moins le film est respectueux à tous les étages, bien ficelé, avec un gentil message autour du cou. Reste une cruelle évidence, que Shultze gets the blues admet sans broncher : son piano à bretelles n’est pas prêt de faire de l’ombre au bon vieux rock’n roll finnois.