L’imaginaire samuraï déculotté, et humilié sur la place publique : c’est a priori l’argument satirique de Saya zamuraï, plus jusqu’au-boutiste dans cette veine qu’un Zatoichi. Mis à part l’héritage pitre et féroce de la scène comique japonaise (Matsumoto est un ancien trublion de la télé, comme Kitano), il y a d’ailleurs peu en commun entre les deux précieux bibelots. Là où l’aveugle de Zatoichi transformait son handicap en carte maîtresse, notre samouraï miro est un désastre errant, dépossédé de son sabre, autant dire émasculé. Veule, larvaire, il tient lieu d’idiot du village depuis qu’il a tourné le dos à ses tâches de guerrier. Ecroué puis condamné par un seigneur à se faire seppuku, il se voit proposer une seconde chance : s’il parvient à arracher un sourire au fils du seigneur, gamin mafflu et pétrifié depuis la mort de sa mère, il sera épargné. La fille du captif, avec la complicité de deux gardiens chtarbés, met sur pied quantité de numéros piteux : son père sera humilié sous toutes les coutures, tractera des pierres avec ses narines, s’improvisera tour à tour pétomane, lombric ou homme-canon.
Via cette machinerie sadique, inspirée des pendants suicidaires et nippons de La Roue de la fortune, Matsumoto s’éloigne de la simple farce annoncée, et s’en retourne vers les zones plus abracadabrantes de son oeuvre (ses précédents films étaient plus franchement versés dans la tambouille expérimentale). Il amoncelle les épreuves du feu comme autant de petits happenings scabreux, sur une cadence bancale, « déceptive » : les séances de torture se suivent, se ressemblent plus ou moins, les fiascos cruels envahissent la scène. Parfois volontariste, le spectacle se répète et s’enraye volontiers, cherchant peut-être à reproduire l’hébétude sous laquelle se voile son antihéros. Mais, alors qu’on craint un bon moment l’acharnement vain d’une sorte de théâtre des horreurs – le palais du seigneur fait office d’arène de torture en plein air -, un suspense éclot bon an mal an de ces sordidités gratuites, et le guerrier-loque suscite une franche empathie. C’est là sans doute le pari tordu de Matsumoto : débusquer le chevaleresque dans la quintessence du ridicule, longer la frontière entre sadisme voyeur et admiration philanthrope pour cet esprit libre, prêt à jeter son honneur aux orties, ou pire, plutôt que de se plier à l’ascèse du samouraï modèle.
Plus surprenant encore est le troisième mouvement du film. Interviennent ici des accents mélos qui, à la faveur d’un climax soufflant, remettent en scelle la rude morale du Japon ancestral, l’ombre austère de la responsabilité et de la tradition que Matsumoto avait commencé par démonter. Revirement simultané du film et de son procès, à peu près aussi émouvant que barjot. A l’arrivée, difficile de savoir vraiment où a mené l’informe chenille de sketches, sinon au plaisir de goûter le film de samouraï le plus lunatique vu depuis longtemps.