Projeté dans l’ombre de Bataille dans le ciel lors du dernier festival de Cannes, Sangre, signé par un ex-assistant de Reygadas, aurait davantage mérité d’être au centre de toutes les polémiques que son grand frère. Du grand maître tapineur, Amat Escalante petit malin qu’il est, jette le mysticisme obèse aux orties et ne garde que le meilleur. Si la provoc’ est toujours là, elle semble épurée, taillée à la serpe par une caméra aussi hilarante que frigorifique. Car même réduite à presque rien, la grammaire du petit Escalante n’en demeure pas moins cohérente et précise. Dégraissage volontaire ou non, l’avenir du cinéaste le dira. En attendant, Sangre fait mieux que tenir la route, il joue du cinglant avec brio et pertinence.
Le film tient en une équation pauvre comme Job : un couple de Bidonchon mexicain en pleine sinistrose, emprisonné par un carcan de plans fixes savamment étirés. Pauvres, moches et tristes : le mari, gardien de jour, traîne sa médiocrité au boulot et au dodo, pendant que sa femme, caissière de Prisunic et pas plus gâtée, s’occupe à l’infantiliser. Ils baisent de temps à autre suivant un rituel immuable où le changement s’avère purement mécanique. Rotation des positions et des pièces, jamais tout à fait pareil mais au fond toujours la même chose, Escalante enfonce une porte ouverte mais il l’assume avec délectation.
Dans cette frontalité clinique haute du menton, il y a un appel du pied au spectateur aussi arrogant que jouissif. L’absence d’enjeux ou d’évolution dramatique provoque une aigreur absolue, intensité que chaque plan dilate autant que possible. Le dispositif est implacable sur la perversité du conditionnement social. Pour tout aliment dramatique, on n’attend de la mégère qu’une énième illustration de sa monstruosité, et du coup on se substitue au point de vue de l’homme, taulard passif dans sa chienne de vie, aussi accablé qu’impuissant.
De la brutalité routinière du néant, le film glisse dans un cauchemar engourdi quand enfin il avance, guidé par une tragédie plus bruyante que d’habitude. L’homme découvre sa fille morte d’overdose et cache son corps dans une décharge. Toutes les étapes du cortège sont recensées, de l’empaquetage du cadavre par le père dont on guette la moindre trace d’émotion à son convoyage anonyme en plein centre ville. La scène coupe le souffle, à la fois surréaliste et parfaitement banale dans le prisme d’Escalante, qui filme la situation au pied de la lettre, ramenant la foule à sa condition première de bloc compact et dégénéré, aveugle et distrait. Dans la foule, personne ne vous entend crier. Cela pourrait être l’accroche d’un slasher. Au fond, c’en est un.