Un cambrioleur du dimanche tente le hold-up d’une bijouterie. Le patron des lieux n’obtempère pas, le malfrat s’énerve, le patron déclenche l’alarme, le malfrat se retrouve coincé dans la boutique, est pris au piège, est fait comme un rat. Tue le bijoutier, se tire une balle dans la tête. C’est un fait divers, cela se passe en Iran. On sait qu’Abbas Kiarostami s’intéresse de près aux faits divers (voir Close up). On connaît aussi le goût de Jafar Panahi pour la clôture, la figure circulaire (Le Cercle, son précédent et très beau film), le récit mathématiquement comble. Sang et or, réalisé par Panahi sur un scénario de Kiarostami, se propose, en toute humilité, de raconter ce fait divers ou plutôt de le faire se raconter, de retirer le voile de l’anonymat qui le protège. Le film, s’il s’ouvre directement sur la scène du hold-up, va ensuite enrouler l’histoire de Hussein jusqu’à cette fatale et désespérée tentative. Sur le mode du « comment en est-on arrivé là ? ». La mise en place du procédé est très belle et très simple. Alors que le braquage tourne mal, le compagnon de Hussein, Ali, surexcité (il lui crie depuis la rue : « je suis de ton côté, moi ! »), enfourche sa mobylette, traverse Téhéran jusqu’à un bar où il retrouve Hussein, quelques jours plutôt. L’histoire peut commencer, à l’ombre de cette ouverture, très impressionnante -le quadrillage du plan dans la bijouterie, avec Hussein tournant le dos au dehors, à la foule, comme s’il tournait le dos à un écran, cherchait à échapper aux regards mais ne peut rien non plus contre le nôtre, en contrechamp-, ouverture qui la place sous le signe du destin, de la fatalité ou du déterminisme, on ne sait pas encore.
A cet homme, cette colonne dans un journal, il faut d’abord trouver un corps. Ce sera Hussein, massif, un air de poupon boudeur et légèrement autiste. Livreur de pizzas dans les quartiers riches de la ville. Un jour, lui tombe du ciel une somme qui lui permet d’acheter un bijou de mariage. Il se rend à la bijouterie (celle que nous connaissons), joue le jeu des apparences sociales, boudiné dans son costume du dimanche, mais ça se voit tellement, son maquillage est tellement grossier, qu’il n’a le droit qu’au mépris du bijoutier. Il est pauvre, voit l’argent s’étaler partout, les riches devenir plus riches, les pauvres plus pauvres, les courbettes du bijoutier à ses clients fortunés. Il découvre l’injustice et décide de se servir lui-même. S’il n’était que cela, le film serait naïf, simplet, enfoncerait une porte grande ouverte. Evidemment Panahi ne se contente pas d’un tel programme. La force de Sang et or tient à la manière dont il inscrit la vaine révolte de Hussein dans l’itinéraire d’un corps, ses expériences, ses subtiles métamorphoses. Dans la manière aussi où pour lui, son style chevillé au corps, un plan travaille pour le récit. La dernière nuit de Hussein est comme un voyage hors du corps à la manière de Eyes wide shut. Invité par un fils de riche à partager la pizza qu’il est venu livrer, Hussein déambule dans le luxueux appartement, au cours d’une séquence à la fluidité et au brio sans faille. Vertige des miroirs, des piscines reluisantes où, très lourd encore, Hussein se laisse tomber comme une masse déjà morte.