Ironiquement, Samba s’avère beaucoup moins dansant qu’Intouchables. Au point qu’on soupçonne Nakache et Toledano d’avoir voulu répondre au reproche qui, en plein tsunami des 20 millions d’entrées, avait été fait à leur précédent film : celui de promouvoir benoitement le Noir des cités comme antidote rigolo à la fracture sociale, dans un décor national idéalisé. Le tandem plonge donc ici les mains dans le cambouis sociologique, pour s’attaquer à la réalité la plus rude : c’est, encore, l’histoire d’un rapprochement improbable (un sans pap’ et son assistante sociale), mais Omar Sy joue cette fois un étranger pour de bon (avec la caution d’un accent sénégalais) tandis que Charlotte Gainsbourg assure la partition burnout, teint pâlichon et reconversion difficile.
Si Toledano et Nakache ont su prouver leur maîtrise d’une certaine mécanique comique, leur cinéma continue d’être affligé d’une forme fatale d’indécision : impossible pour eux de choisir entre la fable pure et la petite satire vaudevillesque. Découvrant son nouveau bureau (sorte de tour de Babel miteuse où les immigrés s’égosillent dans toutes les langues), Charlotte Gainsbourg se révèle ici héroïne burlesque dépassée par la frénésie du monde réel ; Omar Sy, dadais ingénu mais malicieux, la rejoint pour former un couple d’inadaptés qui semblent à l’étroit jusque dans leurs baskets de marginaux. L’idée n’a rien de honteux, sauf qu’autour, les personnages de second plan (collègues ou apatrides du tiers-monde) s’illustrent eux aussi en rois de la bonne humeur et de la blagounette bien sentie, comme si la France qui souffre s’était retroussé les manches, comme un seul homme, pour donner de l’allant à l’histoire de nos deux tourtereaux. Sur le papier, rien à reprocher à cet enchantement indu, sauf à jeter avec l’eau du bain la moitié de la filmographie de Capra. Sauf que : 1) on ne croit pas une seconde à ces personnages de miséreux pleins de peps 2) au gré des ambitions inconstantes de Toledano et Nakache (faire rire / faire pleurer dans les chaumières), l’environnement de Sy et Gainsbourg ne retrouve ses ternes couleurs réalistes qu’au prix d’un arbitraire total, le film donnant à chaque fois l’impression de se forcer à redevenir sérieux.
Après les gigues réconciliatrices d’Intouchables, Samba aurait donc tendance à tomber dans l’excès inverse, en compensant ses images d’Épinal par des clichés labellisés « conscience sociale »(la révélation de Tahar Rahim, tombée comme un cheveu sur la soupe). Plutôt que de fabriquer ce monde mi-grave mi-folichon, et finalement très artificiel, le film aurait pu forcer le trait burlesque de Gainsbourg et Sy, en faire deux mouches dans le lait, lâchés comme des chiens dans un jeu de quilles. À l’évidence, ce n’est pas tant sa bien-pensance qui interdit au film pareil virage, mais le simple fait que Toledano et Nakache sont de piètres agitateurs, chez qui le manque d’inspiration neutralise toute vigueur punk. En guise de pics d’insolence et de chaos libérateur, il faudra donc se contenter d’un pâle remake de pub Coca et de quelques punchlines frelatées. Pire : au lieu des dérapages attendus, Samba s’enferme dans des vignettes câlines destinées à raviver l’esprit de groupe – dont l’une, un rien forcée, qui voit Sy et Rahim s’épauler sur un toit parisien pour vaincre le vertige du premier, dans une scène belle comme du Francis Cabrel à hauteur de pigeon.
À trop prêcher le rassemblement, Samba finit par rendre le comique comme le tragique parfaitement lisses et rondelets. Si bien que les auteurs, malgré eux, transforment peu à peu leur conte en spot d’instruction civique, déclamant dans le même porte-voix qu’Intouchables un « mélangez-vous ! » toujours aussi volontariste et démago. Et qu’ils empêchent tout à fait Samba de remplir le contrat de la fable, retenue au sol par les lourdes valises de leur sociologie de prime time. Résultat : comme dans le film précédent, Omar Sy retourne in fine à la case départ, mais enrichi d’un raffinement nouveau – qui lui fait prononcer ici « écrasé de pommes de terre » plutôt que « purée ». Sans vouloir pinailler, il reste comme un petit goût de colonie dans les patates.