On a sans doute misé un peu trop vite sur Kim Ki-Duk. Cultifié avant l’heure par les rumeurs dithyrambiques des festivals de France et de Navarre, encensé -à juste titre- pour L’Ile, fable érotique ultra-maîtrisée, la sortie nationale de trois de ses opus cette année permet, hélas, de remettre les pendules à l’heure. Kim Ki-Duk a certes un talent de styliste indéniable, mais son discours d’auteur ne se départit rarement de malencontreuses obsessions, meringueries ou autres gerbes de poésie lourdement métaphoriques. Après Printemps, eté, automne…, superbe carte postale pour routards cinéphiles en quête d’exotisme balisé, Samaria poursuit le pèlerinage du cinéaste au pays des enfants terribles et des grands romantiques, cette fois-ci via la fable urbaine. Oeuvre limpide d’une beauté aux limites du sidérant, le film n’en reste pas moins désespérément naïf, grignoté de tout bord par sa dialectique laborieuse.
L’intrigue : deux lycéennes s’aiment passionnément. Pour se payer un voyage à l’étranger, l’une se prostitue tandis que l’autre organise les rencontres et guette les rafles de la police. Mais, prise en flagrant délit, la première se défenestre sous les yeux de son amie. Jusqu’ici tout va bien. Le filmage est si sûr que le moindre cliché lesbien se transcende en un sublime ballet de nymphes. Chaque plan pare les personnages de mille nuances et exploite la grammaire du cinéma sans trébucher : rupture et mise en espace béton, actrices raffinées par les gros plans, comme dorées à l’or fin, le premier quart d’heure est une démonstration. Le film ne repose alors que sur le talent brut de son metteur en scène, qui incarne magistralement un pitch réduit à une poignée de situations. Seulement voilà, le rapport de force s’inverse : Ki-Duk auteur prend le pas sur Ki-Duk réalisateur. La fille retrouve chaque client de son défunt amour pour lui rendre son argent et offrir ses charmes en guise de sacrifice. Pire, le scénario passe à la vitesse supérieure, dédoublant le parcours rédempteur avec l’entrée en scène du père de la fille, qui castagne les michetons les uns après les autres.
Exactement le même syndrome qui frappait Printemps, eté, automne…, gros parpaing cyclique dont le seul titre réduisait la virtuosité au rôle de simple enluminure. Sauf que pour Samaria, moins world et mieux engagé (le quart d’heure pré-rédemption), c’est à la fois plus rageant et plus encourageant. Le film se borne à boucler toutes les boucles, et dans le même temps, verrouille tous les enjeux vivaces du départ, au nom d’une sérénité gaga et de la symbolique de tout et n’importe quoi. La mise en scène se détraque mollement, bouffée par un trop-plein de rigueur narrative (la répétition), rongée par un tout-poétique qui échappe souvent au contrôle intellectuel. On garde cependant espoir. Kim Ki-Duk a l’esprit suffisamment large pour mettre en scène le script d’un autre. Et tourner du grand cinoche plutôt que de rester le roi du film d’auteur pour beaufs.