De retour des geôles de Corée du Nord, une espionne de la CIA, Evelyn Salt, coule des jours paisibles avec son mari entomologiste, jusqu’au jour où un mystérieux suspect l’accuse d’être un agent dormant à la solde des Russes. Elle ferait partie d’un vaste réseau d’infiltration destiné à détruire les Etats-Unis d’Amérique. La CIA va la prendre en chasse. Peut-on rêver objet plus anachronique que Salt ? À la mise en scène, cette vieille baderne de Philip Noyce (Danger immédiat, Jeu de Guerre), trop heureux de renouer avec un Tom Clancy’s movie digne des années 90. À l’image, même impression, celle d’un objet old school qui refuserait de se colleter avec les signes du thriller moderne. Et puis il y a ce sujet, impayable réminiscence d’une Guerre Froide qu’on croyait définitivement remisée au congélo. Sauf que l’actualité a donné raison au script de Kurt Wimmer : une dizaine d’espions russes infiltrés aux Etats-Unis viennent d’être arrêtés.
Parti du film d’espionnage daté, Salt embraye au bout d’un quart d’heure et sans prévenir vers l’action-movie décharné, presque squelettique. Pour trouver un écho à cet assèchement, il suffit de regarder le visage osseux d’Angelina Jolie. Avec l’âge, l’actrice cultive désormais une étrange anormalité, une sorte de sécheresse morbide qui tranche avec les deux pôles habituels de l’action girl : la femme virile et la tueuse sexy. L’actrice fraie aujourd’hui dans d’autres eaux, elle ébavure sa charge sexuelle pour ne garder que les pulsions de mort (un massicotage qui rappelle celui de Daniel Craig avec 007). Comme elle l’avait fait de la virago de Wanted, l’actrice tire ici la quintessence de son personnage, la remplit du minimum pour la laisser à l’état d’idée : un corps sans passé. Le film est à cette image, se déchargeant sans regret de tout ce qui pourrait l’alourdir (le mari, le contenu), pour n’envoyer que du rythme. Salt est tout entier structuré autour de quatre morceaux de bravoure à peine articulés entre eux (évasion, meurtre, vengeance, résolution) et tous interprétés par une Angelina différente : fausses dents, teintures, masques, l’actrice est ici comme une poupée-gigogne, réduite à un contenant en mal de contenu.
C’est pour cet évidement généralisé que Salt mérite le détour. A l’heure où le cinéma d’action délaie et enfle de partout (Gi Joe, Transformers 2, Inception…), Philip Noyce nous sert un expresso d’1h35, un film aussi droit et serré que l’était déjà Calme blanc (son meilleur film). A partir d’une trame et d’un personnage qui rappellent de loin en loin le Au revoir à jamais de Renny Harlin, le cinéaste s’interdit lui de broder, digresser, ou même s’attarder (tout juste quelques flashbacks), il enclenche une mécanique sans génie mais parfaitement boulonnée. Pas un hasard si le monteur de Casino royale est au casting : on retrouve ici ce même savoir-faire solide quoiqu’un peu vieillot, cette évidence des trajectoires et du découpage qui maintient le squelette debout. Quitte parfois à couper au plus court (le dernier plan déceptif). En procédant partout par soustraction, Salt sacrifie en fait une part de beauté pour mieux toucher du doigt un idéal oublié : le substrat de l’action. Anachronique oui, mais pas anodin.