Improbable adolescent de quinze ans, Max Fisher (l’excellent Jason Schwartzman, dont c’est le premier rôle au cinéma) cumule les fonctions au sein de Rushmore, son lycée : président d’une bonne dizaine d’associations sportives ou culturelles, directeur de publication du journal interne, et surtout metteur en scène de ses propres pièces de théâtre. Bref, Max a toutes les qualités du petit génie sur-expansif, sauf que, trop accaparé par ses activités, ses notes sont celle d’un cancre, et il se retrouve du coup sous la menace d’un renvoi. Son cas ne fait que s’aggraver lorsqu’il tombe amoureux de Miss Cross, un jeune professeur qu’il va tenter de séduire par des moyens qui ne sont pas forcément du goût du directeur.
Il est passionnant de voir à quel point une œuvre peut réussir à faire imploser en douceur son carcan d’origine (le film de teenagers), le contourner pour mieux le détourner, se nourrir d’éléments traditionnels tout en leur conférant des valeurs inédites. Rushmore donne ainsi l’impression d’être un objet en perpétuel décalage, se faufilant dans des interstices inattendus, jouant à poser lorsqu’il pourrait se déchaîner (les quelques séquences de baston traitées de façon elliptique), et vice versa (les représentations scéniques assimilées à des catharsis exutoires). Mais jamais d’arrogance démonstrative au sein de ces contre-propositions : sérénité du cadrage, limpidité du montage, jeu intériorisé des comédiens (Bill Murray fait des prouesses en mécène monolithique). Imprégné de la musique sensible de Cat Stevens, Rushmore impose sa différence avec une discrétion touchante, opérant par petites touches presque mélancoliques, filmant des personnages empreints d’un désabusement que l’on croirait inné. L’espace créé par Wes Anderson s’avère peuplé de manques, de tout un monde en creux laissé vacant par les morts (la mère de Max, le mari de Miss Cross) : une chambre dans laquelle on continue de dormir, un cimetière où l’on se recueille ; comme des terreaux fondateurs sur lesquels, pourtant, l’on ne s’appesantit jamais. Parce que les vivants sont souvent plus aimables que les disparus (même mythiques), Rushmore s’achève sur une belle scène de danse, non sans avoir recueilli au préalable les signes d’une trajectoire adolescente pour le moins stimulante.