Couronnée de métal recyclé, affublée de médailles de pacotille, sa majesté clocharde Chacha se prend pour le roi Christophe, l’ancien esclave devenu en 1811 souverain du royaume d’Haïti, indépendant depuis la révolution anti-esclavagiste de 1804. Film-ovni, Royal Bonbon (du nom de la garde dont Chacha s’entoure au fin fond de son bidonville) ne se contente pas de faire le portrait d’un fou, d’un clochard céleste : Chacha (presque lynché par ses compagnons de misère qui le traitent de « roi-caca »), de simple bouffon qui conserve un portrait du roi et dit renaître de ses cendres, finit par incarner « pour de vrai » les couches mémorielles de l’histoire haïtienne. Une histoire étrangement schizophrène, marquée par une indépendance glorieuse que la pauvreté d’aujourd’hui vient cruellement dédorer. Charles Najman, déjà réalisateur d’un documentaire et d’un livre sur Haïti (Haïti, Dieu seul me voit), a bien saisi ce contraste et a choisi d’ancrer son film dans un lieu emblématique du royaume de Christophe, son palais, aujourd’hui en ruines, vestige réel de la monarchie transformé en théâtre de la folie de Chacha. Celui-ci y revient en père fouettard : « Alors l’indépendance c’est comme ça, c’est une pilule pour s’endormir, l’indépendance ? ». Nouveau roi de bric et de broc, il choisit sa cour (untel sera « comte de la Limonade », un autre « duc de la Marmelade »…), tyrannise ses sujets (les villageois du cru, avec lesquels Najman tourne en effet), et s’entoure de Valentin, vieillard particulièrement attachant qui possède le don rare de prononcer les « r » à la française. Evidemment, tout cela finira dans le désespoir et l’autodestruction, tout comme la vie du vrai roi Christophe, qui n’avait que trop assimilé les modèles despotiques occidentaux.
Pour qui n’est pas familier de l’histoire de Haïti ou de La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire, l’onirisme de Royal Bonbon, ancré dans un travail sur les objets, la lumière et surtout la langue, paraîtra fouillis, déroutant. D’autant qu’à l’épopée-casserole de Chacha-Christophe s’ajoute la quête d’un petit garçon rencontré en chemin, Timothée, qui recherche son père mais rencontrera les « nègres marrons », ces esclaves qui fuient les plantations coloniales autour de leur chef Macandal. Scandés comme des noms de dieux, les figures de Macandal et de Christophe nous demeurent d’abord hermétiques, et les élucubrations du double contemporain du roi traînent en longueur au début du film, alourdies par le jeu théâtral de Dominique Batraville : le moins qu’on puisse dire, c’est que Charles Najman, au risque de perdre notre attention en chemin, ne fait pas dans la pédagogie ou la reconstitution académique… Mais la splendeur du palais crevé (donc à ciel ouvert) dans lequel s’installe Chacha et le jeu des villageois nous font peu à peu entrer dans ce monde étrange de superpositions de fragments de rêves et de bribes d’Histoire, de musique locale et de vaudou, qui parviennent -ce qui tient de l’exploit- à éviter l’écueil du folklore de bazar.