Rosario est une prostituée magnétique d’une boite de Medellin de la grande époque des cartels (les années 80). Deux amis issus de la bourgeoisie la croisent et ne la quittent plus. Commence alors une longue descente aux enfers, segment baroque du quotidien des bas-fonds de la ville mythique de Pablo Escobar. Une fois n’est pas coutume, on peut aimer cette adaptation d’un best seller 100% colombien pour son côté world. Certes l’exotisme est ici putassier, mais Medellin ne l’est pas moins : caricature fascinante de western contemporain, son architecture dépenaillée et vallonnée dessine la trajectoire du film tout en montagnes russes, éclats de chairs et meurtrissures, tourbillon de loques qui scintillent de mille feux.
A cela s’ajoute le casting, patchwork de gueules d’anges et de trognes que n’aurait pas boudées Sergio Leone. A commencer par le rôle titre, sublimé par l’actrice Flora Martinez, sorte de Gena Rawlands latina en plus galbée et hystérique. Maillé ne se lasse pas de la filmer et cette obsession attise encore un peu plus la passion débraillée du film : de reluquement animal en béatification, chaque facette du personnage vient se greffer violement à la précédente et en précipite l’incandescence. La réussite du film tient justement à cette frontalité explosive : qu’importent les ramifications de l’intrigue, les distorsions du triangle amoureux, tout est prétexte à embrasement. Comme en écho à la société colombienne, Emilio Maillé apprend à tourner l’imperfection, quitte à se déconnecter de la retenue du conteur. Pour preuve, les deux héros masculins, aux allures de minets de sitcom, étrillés avec l’empathie la plus sincère.
La beauté de Rosario se niche justement dans cette propension à dériver jusqu’à l’engourdissement sans pour autant se changer en délire technoïde. A l’ultra-violence citadine, s’adjoignent des séquences surréalistes et morbides. On en retiendra une, impayable, où Rosario fête la mort d’un ami dans un bar, installant le cadavre à côté d’elle, lui payant une séance de striptease. La scène s’étire jusqu’à l’insoutenable dans cette représentation triviale de la viande humaine qui refroidit dans les nuages de fumées et les néons crasseux. Tel est le spleen de Rosario, objet envoûtant de vulgarité, point terminal de la dégénérescence urbaine.