A tous ceux qui ont en mémoire le sinistre Nos meilleures années, feuilleton berlusconien fleuve de trois heures sorti en salles il y a quelques temps, Romanzo criminale fera a priori plutôt peur : l’horizon semble la même (compresser une large période de l’histoire récente italienne en quelques heures) et la méthode ne semble pas très éloignée (le roman-photo comme ligne esthétique). Oui mais voilà, les premières séquences suffisent à dissiper les doutes : c’est que la forme, si elle emprunte à un format télévisuel de facture assez basse, contient en elle un réalisme et une amplitude qu’on n’aurait peiné à trouver dans un seul plan du pompeux nanar de Marco Tullio Giordana.
L’histoire est celle d’une bande de brigands du Sud de l’Italie bien décidés à conquérir le marché de la drogue romain. Le cadre des années 1970, dans la période mouvementée des brigades rouges, offre à la bande l’occasion de bouleverser la donne de la grande criminalité en profitant des errements et de la confusion généralisée de la société italienne d’alors. Ce que le film gagne sur Nos meilleures années, c’est une crédibilité, une légitimité et un aspect retors, malingre, qu’il doit autant à sa manière d’emprunter aux codes stricts du polar italien des années 1970 (rêche, sale, mal rasé, sans concessions) qu’à la surprenante maestria de son metteur en scène Michele Placido. Ne cherchant pas à tout prix le romanesque et la grande forme, Romanzo criminale parvient à un degré de réalisme assez époustouflant, entre chronique au long cours et thriller poilu et brutal.
La manière dont le film singe par instant l’esthétisme d’un Michael Mann n’est qu’un leurre, le film s’en remettant toujours à la fluidité éloquente du roman-photo, entremêlant fiction et documentaire (les images d’archive de l’assassinat de Moro) avec une belle assurance. Les artifices opératiques fonctionnent étrangement bien, témoins d’un cinéma populaire qui perd en engagement (la description de la corruption est dégagée de tout regard politique) ce qu’il gagne en nuance psychologique et en sensualisme. Aussi peut-on se laisser porter par ce sous-Parrain en toute tranquillité : sans jamais prétendre au chef-d’oeuvre, Romanzo criminale a suffisamment de coffre pour dérouler son implacable mécanique jusqu’à son terme.