A force d’entendre les rumeurs catastrophiques concernant les projections-tests de Rollerball, de voir avec quel soin sa sortie a été sabotée, on finissait par s’attendre au pire. La surprise provoquée par la vision de ce film « maudit » n’en est que plus énorme. L’angoisse principale concernant Rollerball était évidemment le remontage adouci imposé par les studios. Elle s’efface au bout d’à peine un quart d’heure, tant le rythme frénétique du film, refusant tout épicentre -sinon l’arène des gladiateurs, qui équivaut à peu près, en cette époque futuriste, au monde tout entier-, se joue de tout découpage au profit d’une ahurissante succession de scènes cathartiques en roue libre (poursuites à moto, en voiture, en skate ou bagarres hallucinées sur fond de vrombissements technoïdes).
La cadence défragmentée du récit, sans autre fil directeur qu’un long cri du coeur appelant à une grande révolution générale, est aussi la grande parade du film : un concentré si concentré de chez concentré qu’aucune coupe, sinon dans le surgissement viscéral de la violence (pas un plan gore du film n’a résisté), n’enlève à Rollerball sa puissance incandescente et virtuose. Mieux, la simplicité froide et naïve de ce récit, grâce peut-être à ce rétrécissement forcé, gagne en vitalité pure. Passer si vite d’un point à l’autre de la planète, faire tomber tous les murs du montage sont les grandes obsessions de Rollerball. En cela, le film est un prolongement monstrueux de Die hard 3, une sorte d’explosion de mouvements en apesanteurs et de chocs barbares dont la seule fin serait de fixer, une fois pour toutes, les limites d’un espace vu comme pur chantier d’énergies et de voluptés cinégéniques. Rien que pour cela, et même si l’on peine à imaginer ce qu’il aurait été dans sa version « sanglante » (notamment le finale, seul point -à peine- frustrant du film), Rollerball fait table rase de tout ce qui a pu être vu jusqu’ici.
La conclusion d’un tel film, si simple et si beau dans sa façon de résister à tout ce qui semble peser sur lui, est presque une rengaine, mais une rengaine précieuse et que l’on espère quasi-éternelle : McTiernan est intouchable et garde, avec ce grand carnaval barbare et fellinien (Jean Reno est époustouflant en clown berlusconien grotesque), au moins 10 ans d’avance sur tous ses concurrents hollywoodiens.