Dès la première séquence, Révélations suscite une réaction épidermique violente. L’entrée théâtrale d’une équipe de reportage de la chaîne CBS dans le fief du Hezbollah laisse craindre le pire. Caméra tremblante, montage très fragmenté, musique plein pot, le cinéaste semble nous conduire bille en tête et tête dans le sac vers l’apologie d’un journalisme-spectacle mené par des cow-boys héroïques et des redresseurs de torts sans reproche. Erreur. Car Michael Mann travaille par paradoxes. Le cinéaste pose une image puis la brise pour en reconstruire une autre, elle-même remise en cause un peu plus loin. Chaque séquence ne prend alors son sens véritable qu’au regard de la totalité du film. Mais la faiblesse de ce dispositif relève du niveau inégal de l’ensemble, justement dû à l’existence de ce genre de scènes, simples prétextes archétypaux pour opérer une rectification ultérieure.
Ainsi, cette représentation initiale du travail de journaliste, en fait la même que celle habituellement servie au public lors des génériques télévisuels qui ouvrent les grands reportages, subira quelques retouches essentielles à travers le récit de l’affaire Jeffrey Wigand. Cet ex-directeur de la recherche d’une grande société de tabac américaine doit témoigner lors du procès intenté par 50 Etats des Etats-Unis, dont celui du Mississippi, aux géants de la cigarette. Auparavant, Lowell Bergman, producteur de l’émission phare de CBS 60 minutes, l’a convaincu de lui accorder une interview. Avec une grande intelligence, Michael Mann détaille les difficultés de cette lutte engagée contre un pouvoir économique invisible mais oppressant, et refuse ainsi de s’orienter paresseusement vers le développement du fond de l’affaire (la dépendance ou non au tabac).
On échappe ainsi au discours moralisateur, pour s’aventurer vers des zones moins stables, où la solitude, la paranoïa et les compromissions mal vécues l’emportent sur tout aspect héroïque. La glorieuse équipe de reportage se disloque face aux pressions visant à censurer l’interview, Wigand tergiverse lorsque sa vie prend une tournure désastreuse. Parfois inutilement tapageuse (ralentis non justifiés, nervosité artificielle), la mise en scène s’adapte le plus souvent à l’hystérie de cette situation avec une indéniable habileté. Certaines phases faussement apaisées entretiennent en fait une tension latente jamais totalement évacuée. Dans ces moments, Russell Crowe porte brillamment sur lui, par ses tics et ses gestes non maîtrisés, les stigmates de la lutte. Dans l’ensemble, Révélations fonctionne sur le principe des montagnes russes, avec des hauts et des bas, sans jamais atteindre les extrêmes.