Adaptation d’un roman de l’auteur culte Hubert Selby Jr. (le plus célinien des écrivains américains, chantre de la marginalité new-yorkaise) Requiem for a dream raconte la descente aux enfers synchrone de trois dealers débutants -Harry, son complice, Tyrone, et sa copine, Marion- et de Sarah, la mère de Harry. Cette dernière, qui passe le plus clair de son temps devant son poste de télé tandis que son fils se lance dans le commerce de la dope, devient malgré elle accro aux coupe-faims bourrés d’amphétamines prescrits par son docteur pour perdre du poids. Le processus décrit par Aronofsky et Selby, co-scénariste du film, est essentiellement -voire exclusivement- la dégradation physique (le bras de Harry qui se gangrène), psychique (les délires de Sarah) et morale (ce à quoi est réduite Marion pour avoir une dose) où conduisent l’usage et le manque de drogues.
Ode à la déchéance, pamphlet sur les addictions générées par la civilisation américaine -la nourriture et la télé autant que la drogue- chez les êtres seuls, Requiem for a dream prend aussi par instants des allures de spot de prévention du ministère de la santé. Une rhétorique percutante, des images insoutenables alimentent une version tragique de cet engrenage, mais l’application du film à décrire cette irrésistible fatalité de la drogue, si fidèle qu’elle soit au roman, accuse bon nombre d’insuffisances. Car en fait de dealers juvéniles transformés peu à peu en junkies, Harry, Marion et Tyrone sont des personnages bien lisses, évoluant dans le monde clos du récit, un univers qui tente de refléter la réalité du livre mais dont la description reste trop mince. Le plus gênant est qu’à aucun moment cet univers n’est vraiment montré, ni ces personnages insérés dans le décor -Brooklyn étant d’ailleurs la grande absente du film. Quelques plans, par leur intensité propre, rattrapent les carences de la mise en scène, comme celui de l’errance éperdue de Marion après s’être donnée pour de l’argent. Ou encore, les scènes en split-screen, manière directe, sans doute un peu voyante, de faire pressentir la séparation et la solitude des personnages.
Dans l’ensemble, la réalisation d’Aronofsky n’atteint pas l’ampleur ni la profondeur souhaitée, et les quelques audaces (les hallucinations de Sarah devant la télé) ne sont que de courtes diversions qui ne rehaussent pas la plastique du film. Les personnages et leur environnement demeurent une surface sans mystère et sans double-fond, que le regard du cinéaste ne parvient jamais à transcender. Le jeu des acteurs souffre aussi de cette superficialité : Ellen Burstyn, étonnement engagée dans son rôle, joue à fond la carte de la performance, mais emmène un peu trop le film du côté de l’extrême et l’éloigne de l’émotion vraie. Jared Leto, ersatz de Matt Dillon époque Drugstore cowboy, se laisse facilement voler la vedette par Marlon Wyans, moins apprêté et plus sympathique. Seule Jennifer Connelly, hagarde et maladive, parvient à émouvoir grâce à son personnage de Marion.
On est pourtant pris par le rythme haletant des dernières séquences, par les nappes continues des violons (un beau thème de Clint Mansell joué par le Kronos Quartet), par la violence paroxystique de toute cette dernière demi-heure. Mais l’orchestration du film en un impressionnant crescendo agit comme un écran de fumée. Et si l’effet est d’une indéniable efficacité, cette manière de tout miser sur le montage parallèle révèle aussi les raccourcis empruntés par ce film, qui s’engouffre dans le formel pour pallier la carence de contenu. Presque entièrement tributaire du montage, Requiem for a dream se résume trop à sa construction musicale. Handicapé par une vision désincarnée et desservi par une réalisation tapageuse, il risque dangereusement de laisser le spectateur dans l’état qui est celui de ses héros tout au long du film : en manque de substance.