Drôle de film que ce Repo men. Objet hybride, situé quelque part entre Total recall, eXistenZ, et Clones, le film de Miguel Sapochnik rejoint les rangs serrés d’une SF désaxée et gentiment réflexive. Du divertissement mainstream donc, mais qui, boosté à l’hémoglobine et lardé de scènes insensées, écope du statut enviable – ou suicidaire, c’est selon – d’anomalie hollywoodienne. On y découvre un futur proche, forcément dépressif et libéralo-cynique, dans lequel les progrès de la bio-mécanique permettent toutes les transplantations d’organes, mais pour des sommes astronomiques. Désespérés, les malades en attente de greffe y contractent des crédits à vie (TEG à 19,6 %), qui pour un rein, qui pour un foie, qui pour un coeur… Pas de pitié pour les mauvais payeurs : en cas d’insolvabilité et à la troisième lettre de rappel, des Repo men frappent à la porte pour saisir l’organe impayé, les mains gantées de latex et équipées de scalpels. De ce pitch-concept, écho évident à la crise immobilière américaine, on pouvait craindre le pire, moins pour l’idée elle-même (intrigante) que pour sa tenue sur la longueur (combien d’argumentaires de ce genre épuisés au bout de deux bobines ?). Sauf que Sapochnik a la bonne idée d’abandonner la satire sociale en route, la laissant résonner comme une ligne de basse en fond sonore pour lui préférer d’autres axes narratifs. Pêle-mêle : un repo man victime de son propre système, un drame familial, une love-story bionique, une histoire d’amitié, un actioner à twist… Autant de storylines qui brouillent le tableau mais font, en même temps, tout son charme mineur.
Bien sûr, il y a ce twist, grillé comme il se doit dès le premier quart d’heure, et qu’on aurait préféré plus vaporeux, moins asséné. Dispensable aussi, cette narration façon Guy Ritchie, ce mélange de voix off, flash-back / forward et autres coquetteries post-tarantiniennes (même si elles se justifient ici dans les toutes dernières minutes). Ces regrets mis de côté, Repo men mérite largement que l’on s’y arrête, ne serait-ce que pour son incongruité manifeste dans le paysage SF contemporain. Voir ce refus, par exemple, de brosser un background satisfaisant des personnages comme de ce futur. Cette manière, aussi, d’évoquer par l’anecdote plutôt que l’effet spécial une humanité upgradée (une molette de volume planquée derrière l’oreille = super-ouïe). Contrairement à beaucoup, Repo men ne voit finalement jamais le besoin de justifier son univers, ni de le contenir, il se contente d’y fureter, mi-ludique mi-sérieux, mi-gore mi-poétique, profitant de son scénario bordélique pour varier les registres. Et c’est là que le choix de Jude Law comme interface apparaît crucial (comme celui de Keanu Reeves l’était pour Matrix et A Scanner darkly). Sous le visage cireux de l’acteur passe quelque chose d’équivoque, de changeant, qui légitime toutes les ruptures de ton du film et justifie tous les degrés simultanément sans en imposer aucun. Surtout, le dialogue, instauré par sa présence synthétique, entre Repo men, eXistenZ et A.I., dépasse la simple citation pour illuminer, par ricochets, les deux plus belles scènes du film : la drague d’une jeune chanteuse à 90% bionique (« What brand are your lips ? / They’re all mine… »), et surtout un bouleversant climax cronenbergien. A mi-chemin entre Matrix reloaded et Crash, ce finale a priori grotesque se mue, sans prévenir, en un jeu sexuel et mortifère à coup de pénétrations électroniques. Si elle semble venue d’ailleurs, la beauté pop de cette communion entre l’organique et l’artificiel n’est à bien réfléchir que le digne sommet de tout ce qui a précédé : drôle de scène, drôle de film.