Révélée par Peau d’homme, coeur de bête, Hélène Angel se lance avec Rencontre avec le dragon dans une ambitieuse tentative de fantaisie médiévale. Dans le Sud de la France, lors des premières croisades, un enfant de quinze ans rencontre son héros : Guillaume de Montauban, un chevalier légendaire surnommé « Dragon rouge ». En fait, Daniel Auteuil, guerrier en toc parfaitement ridicule dans une armure de série Z. Les choix de casting sont hallucinants : il y a Emmanuelle Devos, celle qui s’en tire le mieux, mais aussi Sergi Lopez (bon bougre de jour, sanglier baveux la nuit), Gilbert Melki et surtout Titoff, le pathétique bouffon d’Ardisson, petit clown ridicule qui tente ici d’émouvoir en amoureux de papier crépon.
On voit bien sur quoi lorgne ce cinéma-là : sur tout ce qui, derrière un apparat populaire, tient du cinéma le plus respectable qui soit (Kurosawa et Fellini en têtes de ligne, Godard pas très loin). Lorsque Fellini prend Benigni ou n’importe quel petit trublion « à gueule » du cinéma populaire italien des années 60-70, le philtre agit comme par enchantement : c’est qu’il ne s’agit pas de créer un « effet » de décalage mais de tirer de cet univers souterrain (le « spectacle d’en bas ») la sève de tout ce qui constitue le cinéma. Même chose, au fond, chez Godard ou Resnais lorsqu’il utilise la chanson populaire. Rien de tout cela ici : juste un atroce défilé de tronches et de costumes qui font écran à toute émotion, à tout ce qui relève d’un vrai cinéma de fantaisie.
Angel est une esthète qui semble sortir d’une école de beaux-arts, pour qui le cinéma semble une sorte d’horizon hautain et désaffecté. L’allégorie creuse et les visions s’enchaînent sans la moindre grâce, selon une architecture artificielle et délestée de toute puissance dramaturgique. Si ce cinéma n’a rien d’aimable, c’est moins dans sa façon d’imposer de belles images vaines que dans sa perspective arty qui ne s’assume pas : un dandysme pas très fier, un détournement du cinéma populaire par le mépris, le snobisme et la prétention la plus insidieuse qui soit. L’enfance voudrait être au cœur du film, elle n’y est que surface lisse et vague décorum : nulle trace de ce qui la constitue quand on se met à gratter dans les plans. Il y a plus de cinéma dans la moindre scène d’un film aussi easy watching que Le Coût de la vie de Philippe Le Guay, vrai enfant triste du cinéma français, que dans tout Rencontre avec le dragon.