Reconstruction affiche dans son générique des ambitions formelles intéressantes, promesses hélas non tenues par la suite, dégonflées en simples précautions oratoires ; le travail à même la pellicule des premières images n’y est que prélude à une banale histoire de rencontre adultérine que le réalisateur souhaite à tout prix marquer du sceau de la mise en abyme. « Tout est construction », nous prévient la voix off omnisciente, au cas où les années Dogma nous auraient fait oublier le sens du mot « fiction ». Reconstruction, donc, du coup de foudre dans un bar de Copenhague entre Aimée, mariée et « très très belle » comme le répète l’homme jusqu’à ce qu’on finisse par en douter, et d’Alex, dont la fiancée, Simone, ressemble étrangement à Aimée.
Entièrement construit sur le double et le dédoublement (Aimée la blonde aux bottes blanches / Simone la brune aux bottes noires sont les incarnations simplistes de ces oppositions binaires), Reconstruction s’intéresse aux aventures des deux couples à travers les deux « trompeurs » en suivant leurs rendez-vous urbains du grand hôtel au petit restaurant, du bar au métro, en prenant soin de nous situer leurs déplacements dans la ville par un point clignotant sur une vue aérienne (les amateurs de Dogville apprécieront). Les scènes reprises en jump cut et les autres procédés de distanciation doivent leur existence, on le comprend peu à peu, à la conviction du réalisateur que le cinéma charrie tant de poncifs sur l’amour que seul un traitement anti-innocent, formaliste, peut redonner de la vigueur aux clichés scénaristiques. Bizarrement, sa phobie du cliché le conduit tout droit aux pires évidences et à la recherche frénétique mais vaine de la précieuse « émotion de la première fois ». Guettant les signes de l’amour naissant, la caméra insiste, dans un film paradoxalement mal éclairé, sur le visage de la femme et fouille ses pores comme pour exalter sa beauté, qu’elle ne parvient pourtant qu’à épuiser. Quant à l’homme, il n’est pas dédoublé mais progressivement aliéné aux autres et au monde ; devenant pour ses proches un inconnu, Alex ne retrouve plus l’entrée de son appartement, se perd dans la ville qu’il connaissait comme sa poche, etc. Si le protagoniste est ainsi « lâché » par son créateur, c’est que c’est le mari trompé, écrivain renommé, qui a endossé la voix off et tire les ficelles, imaginant peut-être toute l’histoire et nous la contant : une fois de plus, on vient de nous jouer Tempête dans un crâne.
Non seulement maladroit mais roublard, ce Boy meets girl danois réunit à l’écran deux étoiles montantes du jeune cinéma nordique (l’actrice de Dina et l’acteur des Idiots et d’Open hearts, les blockbusters scandinaves) et les plonge dans une indigeste soupe cinéphile mélangeant aux réminiscences de Vertigo (la femme comme toujours-déjà double, duplice même) un fort parfum bergmanien de seconde main (la proximité avec Infidèle de Liv Ullmann sur un scénario de Bergman est d’autant plus marquée qu’Aimée et son mari -le vieil écrivain dont on comprend qu’il est cette voix-off- sont suédois). On peut préférer à ce pur produit-pour-festivals trop malin pour être intelligent un vrai mélodrame débarrassé de tout métadiscours.