Qu’attendre moins d’un an après sa mort, d’un film sur Ray Charles, sinon de l’honorer comme un dieu, instruire le fredonneur occasionnel et pourquoi pas, essayer de lui faire acheter un album ? Au fond, la logique de cette courbette imprégnée se rapproche de tout projet hollywoodien un tantinet ambitieux : toujours quelque chose à vendre (une B.O., un jeu vidéo) et à faire aimer (un style, une star). Non seulement Ray ne triche pas, mais il fait preuve d’une belle générosité. 2h32 de show musical, de postiches et d’effets rétro, le vieux routier Taylor Hackford ne lésine sur aucun détail. Il aime la musique (déjà un docu sur Chuck Berry dans les années 80), il vénère Ray Charles. Aucune raison de lui en vouloir.
Evidemment, les mauvaises langues fustigeront son style standardisant qui transforme la vie du chanteur en grosse littérature feuilletonesque. C’est vrai que Ray est classable dès le générique, épousant le moule usé que des générations de tâcherons ont creusé depuis vingt ans. Durée fleuve, récit linéaire avec début en petit garçon, milieu grandeur et décadence et final canonisant, Hackford n’a beau rien chambouler, sa documentation foisonnante insuffle une tension agréable. On voit bien là plus qu’un heureux hasard, en fait la collusion de deux facteurs : d’abord Ray Charles, le vrai, qui jusqu’à sa mort, a suivi le projet de très près, y apportant une foule d’infos. Le film se termine même sur un défilé de photos tout droit sorties de l’album de famille, se changeant du même coup en objet rare de fan mordu, comme une série limitée ou un collector. Ensuite la musique, que le cinéaste place au-dessus de tout. Chaque tube a son anecdote (psychologisante la plupart du temps, donc foireuse) et son mini-clip qui va avec. Plus que défiantes, ces séquences se parent d’un perfectionnisme transformiste délirant, face Podium d’Hackford qui se veut sans détour le plus fidèle et le plus ressemblant des sosies. Il reproduit live les lumières saturées des pochettes de disque, les vestes à strass, les fameuses Ray-Ban. Porté à incandescence, ce mimétisme de café-théâtre finit par devenir un axe de mise en scène à part entière, qui le distingue des singeries habituelles (rappelons-nous l’horrible Moi, Peter Sellers), dont l’approximation conventionnelle et la vague intellectualisation trahissent le dilettantisme de leurs auteurs. Même Jamie Foxx, dans un registre d’imitation par essence insupportable, se fond dans le décor sans bruit, totalement synchrone. Dans le genre, assez plaisant.