Après le surprenant reload orchestré par Martin Campbell, ce nouveau 007 a été confié aux bons soins de Marc Forster, petit cinéaste chichiteux qui cadre mal avec les impératifs bondiens. Bien malin qui pouvait deviner comment le réalisateur de Stay, A l’ombre de la haine et autres Cerfs-volants de Kaboul allait se dépatouiller d’un cahier des charges à base de castagnes, de croupes rebondies et de géopolitique pour les nuls. Le bénéfice du doute ne tiendra pas plus d’une demi-heure. Le temps pour Forster de massacrer dans les grandes largeurs deux courses-poursuites et de saper, dans le même mouvement, la logique de trajectoire mise en place par Campbell.
En cause, cette mode détestable de la shaky-cam et du sur-découpage. Dans le sillage de Paul Greengrass, c’est tout Hollywood qui semble avoir cédé aux sirènes du chaos. Hélas, si les aventures de Jason Bourne s’accommodaient plus ou moins de cet effet de brouillage, il s’avère la plupart du temps dévastateur. Quantum of solace le démontre par l’absurde. Alors que Campbell sonnait le retour fracassant de Bond en tant que corps, Forster le réduit en lambeau à coup d’hyper-montage. Tout le sel théorique de Casino royale procédait d’un rapport inédit de 007 à l’espace : transparence et lisibilité spatiale contre stratégie du bulldozer. Minéral, Daniel Craig trouait le film de part en part et enfonçait la mythologie bien peignée de l’agent secret. Ici, il ne traverse rien, ne défonce plus grand chose, noyé dans le magma de plans attisé par Forster. Le nez dans le guidon, le cinéaste enquille ses cascades sans le moindre souci pulsionnel et découpe son héros avec une scie sauteuse en guise de banc de montage. Marre de ces cinéastes qui court-circuitent l’espace plutôt que de le mettre en tension, persuadés qu’un fatras parkinsonien palliera leur incurie.
Au bout de la séance, il faut pourtant se rendre à l’évidence : si le corps bestial de Daniel Craig n’impulse plus rien, son visage enfiévré suffit à maintenir Quantum of solace à flot. Jamais 007 aura semblé si peu engageant. Ses traits sont creusés, hantés, et seule une lointaine lueur allume encore son regard bleu acier. Au détour de quelques plans, c’est un mort-vivant que l’on entraperçoit, un être muré dans un détachement morbide qui largue une à une les amarres pour mieux s’abîmer dans son rôle d’espion. En prolongeant ainsi cette chute fascinante, Marc Forster sauve l’essentiel in extremis, mais sa mise en scène épileptique fait craindre le pire pour la suite : c’est toujours sur la pente hyperbolique que l’agent secret s’est planté.