C’est aberrant mais c’est comme ça : Quand l’embryon part braconner, film « pink » réalisé par Koji Wakamatsu en 1966, tombe sous le coup d’une interdiction aux moins de 18 ans préconisée par l’impayable Commission de classification des oeuvres cinématographiques et suivie par le Ministère de la Culture qui a rendu son verdict mardi 2 octobre 2007. Le film de Wakamatsu est donc le troisième, en une année seulement, à subir pareille mise au banc, rejoignant dans leur purgatoire Saw 3 et Destricted.
C’est aberrant pour un paquet de raisons sur lesquelles on ne s’étendra pas (d’autant que c’est un film autrement plus intéressant que les deux navets sus-mentionnés), mais retenons au moins la plus évidente : qu’est-ce qu’une législation visant à protéger les loupiots des scènes de cul explicites peut bien reprocher à cette re-sortie d’un fleuron du « pink eiga », genre underground du cinéma nippon 60’s, certes vaguement érotique, mais garanti sans pilosités suspectes ? On imagine que c’est plutôt le sujet qui a dû fâcher les bigotes de la commission. En deux mots : pour pousser plus loin leur flirt, une jeune employée accepte de monter dans l’appartement de son patron (joliment nommé Marukido Sadao, en référence à Sade). Une fois sur place, le marquis en col blanc la drogue, l’attache, la fouette, la viole, sans manquer de lui causer un peu de son ex. A la fin, la fille lui met du saké dans l’oeil et un couteau dans le ventre. Rideau.
Image dégradante de la femme : c’est à l’évidence le genre de docte connerie dont la commission a dû parapher sa copie, moins sourcilleuse quand il s’agit d’exposer nos chères têtes blondes à une pelletée de panouilles d’ici autrement plus suspectes sur la question. De toute façon, Wakamatsu, septuagénaire toujours vert et sympa comme tout, nous le confiait à l’occasion de l’entretien qu’il nous a accordé (à lire dans Chronic’art #39, en kiosque) : ce n’est pas d’une relation homme-femme qu’il s’agit ici. La fille soumise, c’est le peuple ; le bourreau, c’est l’Etat. C’est que le « pink eiga » dont il fut le fer de lance, Wakamatsu ne l’a jamais envisagé autrement que comme un outil d’agit-prop. Ancien yakuza devenu cinéaste, militant rouge-noir très vénère, Wakamatsu est l’auteur d’une grosse poignée de films coup de poing (Sex Jack, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1971, mais interdit en France, qui s’ouvre sur l’assaut d’un commissariat où l’on dérouille du képi « comme on tue des moustiques dans les pubs pour insecticide », dixit le réalisateur), et suscita l’intérêt d’Interpol après avoir rejoint la guérilla palestinienne pour en tirer un doc.
Cette portée contestataire est certes moins évidente dans L’Embryon. Surtout, le film est, il faut bien l’avouer, nettement moins bon que d’autres fleurons de son oeuvre, parmi lesquels on ne saurait trop vous recommander le splendide Vierge violée cherche étudiant révolté. Reste que c’est un moyen comme un autre de se frotter au cinéma un peu aberrant de Wakamatsu, profusion do-it-yourself d’idées parfois fulgurantes, parfois moins, mais toujours portées par un sens assez inouï de la mise en espace (le toit d’un immeuble dans Vierge violée, le propre logis de Wakamatsu pour le huis clos de L’Embryon), et une concision diablement efficace. A supposer, donc, que vous soyez majeur et consentant.