Pendant six semaines, le documentariste Frederick Wiseman a observé le quotidien des habitants de la cité Ida B Wells, un ensemble de logements sociaux majoritairement peuplés de noirs-américains à Chicago. Omniprésence du chômage, ravages de la drogue et de l’alcool, violences familiales, l’Amérique filmée par Wiseman dans Public Housing est celle de la pauvreté mais aussi celle d’hommes et de femmes qui luttent avec une violente énergie pour en réchapper.
Les séquences de ce film nous montrent en effet comment chacun lutte contre les « fatalités » de la pauvreté telles que la délinquance, les grossesses adolescentes ou encore l’insalubrité des logements. Mais tout le talent de Wiseman est de ne pas réduire son cinéma documentaire à une étude sociologique informative. Au contraire, c’est la vie même de ce quartier qu’il nous donne à appréhender, et pas seulement ses moments forts. Public Housing fait ainsi se succéder les ambiances : des infirmières montrent, gestes à l’appui, à de trop jeunes mères, comment utiliser un préservatif masculin ou féminin ; devant un immeuble, des enfants et des adolescentes obèses se déhanchent au rythme d’une musique techno ; tandis qu’un peu plus tard, c’est dans un amphi qu’un jeune diplômé noir vient haranguer ses frères, brothers, pour les inciter à se lancer dans la création d’entreprise.
Pour parvenir à capter une telle spontanéité, Frederick Wiseman reprend la méthode qu’il a développée depuis son premier film en 1967, Titicut follies : un tournage avec une équipe très réduite (un chef opérateur qu’il dirige, un assistant qui porte le matériel et change les magasins de la caméra, tandis que Wiseman se charge lui-même de la prise de son), le choix d’un lieu unique, la non-intervention sur l’action et l’absence de commentaire. Cet ancien juriste passé à la réalisation à plus de trente ans développe ainsi un regard critique sur les institutions publiques de la société américaine. Public Housing offre alors la possibilité de décrypter un pan supplémentaire du monde occidental contemporain, et ce afin d’en dévoiler toute la violence cachée.