On se frotte les yeux, mais oui, c’est bien Jérémie Renier qui discute tuning en survêt avec l’accent ch’ti. Transformation totale. L’accent était-il nécessaire ? Dans le cinéma français, l’accent ch’ti est au pauvre ce que la jante en alu est à la Renault 21 : une touche finale superflue. Et c’est précisément ce qui agace le plus dans Possessions, les touches finales, ces petits détails de finition qui le font moins ressembler au thriller social dont il semble d’abord se réclamer, qu’à une scabreuse pantalonnade sur les classes populaires. L’histoire s’inspire de l’affaire Flactif : un couple modeste (Renier, donc, et Julie Depardieu) décide d’aller vivre à la montagne avec leur petite fille. Mais les propriétaires ne peuvent leur proposer tout de suite le logement promis, et les trimballent d’hôtels en chalets. Les relations s’enveniment jusqu’au meurtre. Principale tare de Possessions : le prolo considéré comme rôle de composition. De Cloclo (en salles le 14 mars 2012) à ce rôle-là, c’est pour Régnier le même plaisir du déguisement, le même goût de la performance. Or dans un film qui n’a rien d’une fantaisie et prétend relever plutôt, de la tragédie sociale, cette performance a l’air d’une farce pas drôle, d’une bouffonnerie cynique et vulgaire. C’est moins l’idée même de la métamorphose qui dérange d’ailleurs, que les détails superflus mais ravageurs, de la prise de poids (18 kilos, dit-on, une vraie prouesse), à l’effort palpable d’imitation – c’est-à-dire au principe de l’acteur tuné pauvre.
On mesure bien que ce parti pris s’inscrit dans une ambigüité plus large, qu’emblématisent deux sortes d’images : d’une part les images documentaires (ou approchant), tranches de vie sous forme de sketchs, avec irruption invasive de la marque, de la pub, plus encore de l’écran de télé ou de jeu vidéo, comme pôles d’un réel en forme de simulacre ; d’autre part les images abstraites, qui déforment le réel en touches de lumière, flous éthérés, cols de montagne cotonneux et déprimants, fragments de flammes, phares, reflets sur vitres. Entre les deux, pas d’alternative possible, le réalisateur cloisonne ses personnages et les classes sociales qui leur correspondent dans des bulles fantasmatiques, écrasant tout le monde sous le rouleau compresseur de la crétinerie – et comme si l’altitude rendait myope, floute les panoramiques alpins. Les possibilités d’action, d’éveil politique (ici traité sur un mode parodique : voir la scène risible où Renier quitte son emploi) sont nulles, la violence finale sur les riches propriétaires totalement éludée. Ce qui manifestement intéresse Eric Guirado, beaucoup plus que les drames susceptibles d’en découler, c’est le leurre social, la force d’attraction des illusions, la ronde infernale des images, tous ces petits détails visuels et sonores qui donnent du style (celui du zapping hallucinatoire) mais engloutissent les personnages avant de les recracher dans un triste état, vides et mâchouillés, inutiles et délavés. Après avoir tué ses proprios, Jérémie Renier se contemple au journal de 20h en souriant tranquillement : pas la peine de s’en faire, il sera au moins passé devant les caméras. Image d’une vacuité accomplie, essorée de toute authenticité, de toute profondeur. Mise en abyme au fond assez baroque, entre le jeu Actors Studio de Renier et la transformation de l’homme du peuple en figurine – une espèce de ligne de fuite tracée sur du plat.