Il y avait tout à craindre de ce nouveau blockbuster signé Wolfgang Petersen, énième succès des années 70 remis au goût du jour. Parce que le cinéaste teuton n’est pas spécialement le roi de la dentelle et qu’à la revoyure, le premier film, carcasse de sitcom bouffie et kitsch, a pris un bon paquet de rides. Et pourtant, Poséidon fait oublier les outrances pompières d’Air Force One ou Troie : sec (un comble), carré et bien tenu, le film déroule son programme avec une vivacité entièrement dévouée à l’efficacité narrative. Rien que sa durée minimale en dit long sur ses intentions : 1h38, c’est presque du sauvetage en temps réel et ça ne laisse surtout pas de place à la moindre complaisance. Du coup, Petersen retrouve le meilleur de sa position de faiseur : il n’est ici qu’un simple assembleur de scènes, un technicien au service d’un cahier des charges en acier trempé. Le fait que Poséidon se soit planté au box-office américain le rend même d’autant plus humble et touchant.
Le plaisir du film vient de cette bienheureuse urgence, redonnant au blockbuster une pureté ludique exemplaire. Face à l’implacabilité du pitch -sortir d’un navire retourné par une vague- pas moyen de caser de résonance contemporaine malgré quelques tentatives sociologiques (l’homo, la clandestine latino, le quinqua bourru, la femme seule, le gamin, ils sont tous là), impossible même de surjouer des effets spéciaux (la vague géante qui retourne le paquebot avec un classicisme incroyablement modeste), l’idée de survie charriée par le script et la peur du temps mort qui anime le cinéaste agissent de concert. L’écriture est donc au pouvoir, transformant le film en une partie de Fort Boyard romancée. On y trouve les nombreuses épreuves (l’ascenseur, l’huile brûlante et les passages engloutis) mais aussi la palette d’émotions des candidats, entre cogito inventif (« que dois-je faire ? »), exploits sportifs et peur primales.
Même la clepsydre est symbolisée par l’engorgement progressif du bateau, beaux moments où le cinéaste révèle sa science de l’espace, galvanisé qu’il est par la nécessité absolue d’imprimer un tempo. Chaque plan recadre l’action, ouvre de nouvelles échappatoires : une explosion et le décor s’inonde ou se vide, une piste est à peine entrouvert qu’une scène est déjà prête à être dégainée. Tout l’art modeste de Wolfgang Petersen, ici : subir la contrainte non pour la dépasser mais pour l’exécuter le plus proprement possible, procéder plan par plan, séquence par séquence, agir en en chef machiniste plus qu’en ingénieur. Pas tant besoin de virtuosité, mais de rigueur et de gestion : rarement film n’est aussi structuré pour l’enchaînement. Il n’est d’ailleurs question que de transmission : passage d’une soute à l’autre, relais des personnages qui endossent chacun leur tour l’habit du héros. Josh Lucas et Kurt Russell y donnent la pleine mesure de leur talent : dépassés puis adulés, impuissants ou martyrs, stars pour la vie mais seulement par intermittences.